Barack Obama et le casse-tête iranien
Par Bernard Guetta
Commençons par Mohammad Khatami», m’avait-il dit aussitôt. Je venais de demander à
cette figure de la révolution
iranienne, exilée en Europe,
si l’ex-président réformateur pouvait remporter la présidentielle de juin et pourquoi Mahmoud
Ahmadinejad, l’actuel président,
avait si vite accepté les ouvertures de Barack Obama. «Les deux
choses sont liées», avait-il répondu. C’est parce que la candidature de Khatami le menace qu’Ahmadinejad arrondit les angles, sur tous les dossiers.
Un rappel, d’abord. De loin, la République islamique paraît aussi uniforme que le voile imposé à ses femmes. De près, c’est un pays à la vie politique
intense, un pays double, théocratique et démocratique, où la confiscation
du pouvoir par les mollahs n’empêche ni leurs
divisions de s’étaler sur
la place publique, ni des élections de peser sur le cours des choses car, aussi étroitement contrôlées qu’elles soient par le régime, leurs résultats sont peu truqués.
Il y a deux
pouvoirs en Iran, celui des
citoyens qui élisent Président et députés, et celui de la hiérarchie religieuse dont les instances coiffent les institutions républicaines.
Guide suprême en tête, ce second pouvoir est le vrai. Les forces armées, la justice et la télévision
lui sont subordonnées. Sans son aval, personne ne peut briguer une fonction
élective mais, dans l’établissement des listes de candidats, le Guide, Ali
Khamenei, ne peut pas plus ignorer l’état de l’opinion que les rapports de force au sein
du clergé et les deux, disait ce connaisseur
des arcanes iraniens, sont devenus défavorables
au président sortant.
Les promesses électorales d’Ahmadinejad se sont, de fait, retournées contre lui. Pour «apporter l’argent du pétrole» à la table
des plus pauvres, comme il s’y était
engagé il y a quatre ans, il
a tordu le bras à la Banque
centrale et a multiplié les
subsides aux laissés-pour-compte, mais
a si bien lâché, aussi, les rênes de l’inflation que même le prix des légumes en est devenu inabordable. L’effondrement des cours du pétrole et les sanctions internationales
provoquées par la course à l’arme
nucléaire ont fait le reste. Ils ont
achevé, ensemble, de vider
les caisses de l’Etat. L’économie iranienne est en ruine et, non seulement la popularité du président sortant s’est écroulée au bas de l’échelle sociale mais les élites, celles du régime
et de la société, ne voient
plus en lui qu’un irresponsable, qu’un incapable dont il faut
se débarrasser.
Ce consensus menace tant la réélection d’Ahmadinejad que le Guide, après l’avoir aidé à se faire élire pour barrer la route aux réformateurs
et aux plus réalistes des conservateurs,
a voulu voler à son secours en barrant la route à toute autre candidature conservatrice. Il y est parvenu mais il n’a
fait, par là, qu’ouvrir la voie à Khatami parce que beaucoup des religieux les plus influents se sont
rabattus sur lui et qu’il fallait
bien qu’il y ait plusieurs vrais
candidats en lice.
Par crainte
de se laisser déborder dans son propre camp, le Guide a remis en selle cet homme qu’il
avait systématiquement contrecarré durant ses deux mandats,
qui avait, en conséquence, déçu les espoirs de réformes et dont la volonté de changement avait, parallèlement, inquiété le clergé. A Téhéran, peu de gens auraient parié sur Khatami mais,
en en faisant le seul opposant crédible
à son poulain, le Guide l’a
rendu tellement incontournable qu’il n’a pas pu l’empêcher
de se présenter.
La partie
n’est pas gagnée pour l’ancien président. La télévision fera tout pour le
faire échouer. Les milices
du régime ne reculeront devant
rien pour assurer sa défaite. Le quotidien des conservateurs les plus rabiques, Kayhan, vient de lui donner un avant-goût
de ce qui l’attendait en lui promettant «un destin à la Benazir Bhutto» mais il a son nom, une image, des appuis qui ne se limitent plus
aux cercles réformateurs - tant d’atouts, en un mot, qu ’Ahmadinejad doit reconquérir, au plus vite, les conservateurs modérés pour ressouder son camp derrière lui.
Il s’y
est attelé sans attendre. Il a accepté,
pour cela, de présenter un projet de budget qui ne table plus sur
une remontée des cours du pétrole mais sur leur
niveau actuel. C’est la raison pour laquelle, surtout, il s’est
soudain dit «prêt», il y a une semaine,
à ouvrir des pourparlers
avec les Etats-Unis - avec ce
successeur de George W. Bush qui a fait naître, chez les Iraniens, l’espoir d’un compromis permettant à leur pays de se sortir des sanctions.
«L’effet
Obama» est formidable à Téhéran.
Il y a modifié le paysage politique, non seulement dans la population mais aussi dans les milieux dirigeants qui considèrent qu’il faut saisir cette
main tendue ou, au moins, que les Iraniens ne comprendraient pas que le régime ne le fasse pas. Le
bouleversement de la donne est
tel que la Maison Blanche hésite. A ouvrir des pourparlers
sans délai, avec Ahmadinejad, elle
pourrait l’aider à remonter la pente mais en le mettant au pied du mur, avant la présidentielle,
elle pourrait le conduire à amorcer rapidement un accord. Pour Washington, le choix n’est pas facile. Le débat y fait rage. Barack Obama n’a
pas encore tranché.