La secte, l'escroquerie et le procureur,
Par Caroline Fourest
29.05.09
e procès qui s'est ouvert le 25 mai à Paris est un test. Pour
savoir si la France reste un pays particulièrement vigilant envers les dérives sectaires ou si
elle baisse la garde. On se souvient du propos ambigu - minimisé depuis - d'Emmanuelle Mignon, alors directrice de cabinet du président :
"Les sectes sont un
non-problème." Ce n'est
pas l'avis des victimes de
la Scientologie. Notamment
de cette femme, gouvernante
dans un hôtel, qui a dépensé plus de 21 000 euros en quelques mois pour des "cours de réparation de vie",
des séances de sauna, des vitamines et un "électromètre" censé mesurer ses "zones de
bouleversement spirituel".
La porte-parole de la Scientologie crie au "procès en hérésie".
L'affaire n'a pourtant rien
à voir avec la laïcité ou l'Inquisition. Il s'agit simplement de savoir si cette association de type 1901,
censée être à but non lucratif, n'aurait pas une tendance monomaniaque
à profiter de la vulnérabilité
psychologique de certains individus pour vider leurs comptes en banques. Ce qui ne la rapproche ni
tout à fait d'une religion ni
tout à fait d'une entreprise,
mais d'un mélange des deux
à tendance mafieuse et coercitive. Ces deux derniers
aspects faisant toute la différence.
Si la paroisse
de Lourdes se mettait à vendre
ses petites bouteilles d'eau bénite au prix du caviar, si ses prêtres étaient
formés à en vendre un régiment à chaque grand-mère qui passe la porte, au risque de les ruiner, elle serait
digne d'être considérée comme une secte.
Si le prêtre et ses enfants de choeur se mettaient en prime à régenter leur vie dans le but de leur vendre des vessies pour des lanternes au prix d'une Rolex... On
devrait pouvoir les condamner pour "escroquerie
en bande organisée".
C'est l'enjeu de ce procès.
A long terme, l'association
représentant la Scientologie
en France risque la dissolution au titre de la loi About-Picard, adoptée en 2001, dans l'idée de contenir les mouvements sectaires en instaurant un "délit d'abus frauduleux
de l'état d'ignorance ou de faiblesse".
Le dossier est solide.
Dix ans d'instruction.
Pourtant, la
Scientologie se dit confiante. La raison de cet
optimisme ?
Un non-lieu surprenant, requis par le procureur à l'issue de l'instruction. Cela ne veut pas dire que le ministère public ne changera pas d'avis à l'issue du procès. Il a accepté que l'Union
nationale des associations de défense
des familles et de l'individu
(Unadfi) se constitue partie civile.
Mais ce
réquisitoire reste soupçonné - à tort ou à raison - de
refléter une certaine volonté politique, plutôt clémente. Il a été
rendu en 2006. A une époque où le ministère de l'intérieur souhaitait se montrer plutôt bienveillant envers les mouvements sectaires. Un vrai changement par rapport aux années antérieures, qui
correspond aux périodes où
Nicolas Sarkozy occupait ce
poste.
En 2003, des membres de la Mission de vigilance envers
les dérives sectaires (Miviludes) se souviennent avoir assisté à un colloque où l'avocat
des Témoins de Jéhovah et Danièle Gounord, la porte-parole de la Scientologie, ont dîné en compagnie
d'un responsable du bureau des cultes
du ministère de l'intérieur.
La même année, un fonctionnaire des renseignements généraux ayant publié une
thèse sur la Scientologie, Arnaud Palisson, est mis au placard à la demande de la secte.
La courtoisie
se poursuit au ministère
des finances, où Nicolas Sarkozy accepte
de recevoir Tom Cruise, ambassadeur
de la Scientologie, pour parler
cinéma bien sûr. Le même ministre
publie un livre en faveur d'une laïcité plus tolérante, où l'on
n'utiliserait pas le mot secte
"à tort et à travers". Il
précise qu'il ne s'agit pas de lutter contre les sectes mais contre les seules "dérives sectaires". Moins par
complaisance que par souci d'importer
une vision plus américaine
de la liberté religieuse, où la liberté de manipuler est
confondue avec la liberté
de culte et passe avant la vigilance. Rien ne dit que cette priorité ait changé depuis.