Le golfeur Tiger Woods, la morale et les sponsors

 

Par Pierre Haski

 

C'est la chute d'une icône, et, plus surprenant vu du côté français de l'Atlantique, la fin d'une immense carrière sportive pour cause d'infidélités (avec un grand « S ») conjugales. C'est de Tiger Woods qu'il s'agit, le gendre idéal noir de l'Amérique avant l'irruption de Barack Obama ; le plus grand golfeur professionnel de l'histoire, le plus riche aussi (il serait le premier milliardaire du sport, selon le magazine Forbes), qui a annoncé qu'il suspendait indéfiniment sa carrière après des révélations en cascade sur sa vie privée.

 

L'affaire va bien au-delà des rubriques people des journaux américains, car Tiger Woods avait été propulsé au rang de « role model », d'exemple de réussite donné à la jeunesse du monde entier, celle d'un homme aux origines africaines, asiatiques, amérindiennes et européennes qui réussit dans un sport « de blancs ». Tout ce qui a pu être mis en avant de positif à propos d'Obama avait été dit auparavant pour Tiger Woods !

 

Sa chute a tout du feuilleton télé : un accident de voiture de luxe en plein coeur d'une nuit de novembre dans un quartier huppé de Floride, et tout s'enchaîne. La vie privée du golfeur, marié au mannequin suédois Elin Nordegren avec laquelle il a eu deux enfants, se dévoile : des maîtresses à chaque étape du circuit du golf professionnel, onze au dernier décompte de la presse américaine

 

Et, comme toujours, tout ceux qui adulaient le sportif au faît de sa gloire, en rajoutent maintenant qu'il est à terre. Tiger Woods fait l'objet de blagues au ras des paquerettes sur les talk shows télévisés et sur les sites américains, ou encore de leçons de morale d'éditorialistes consensuels.

 

Pour Slate.com, pas vraiment un site conservateur, Tiger Woods est « le salaud de l'année », tandis que le Huffington Post tente très sérieusement de nous expliquer la violence qui a traversé l'esprit de la femme du golfeur lorsqu'elle a compris que son conte de fées était une farce tragique.

 

Il y a déjà un jeu vidéo qui met en scène sa femme le poursuivant, club de golf en main (voir ci-contre), une allusion à ce qui se serait passé la nuit de l'accident, sa femme est soupçonnée d'avoir voulu l'attaquer à coup de club de golf lorsqu'elle a découvert qu'il la trompait. Lorsque l'internaute joue, il se met à la place de Tiger Woods.

Un phénomène américain ?

 

Il y a assurément quelque chose de très américain dans ce psychodrame dans lequel une affaire de vie privée fait tomber de son piédestal une icône qui, pourtant, n'a pas démérité dans le domaine qui l'a rendu célèbre : le golf. D'un seul coup, ce mensonge à son épouse devient un mensonge à tous, ses fans, son public, ses adorateurs, qui ne sont plus prêts à tolérer la moindre faille à la statue parfaite qui avait été modelée, par les communicants, par les sponsors, par les médias.

 

Et c'est sans la moindre pudeur que Tiger Woods annonce sur son site officiel (ci-dessous) qu'il va désormais se consacrer à être « un meilleur mari, un meilleur père, une meilleure personne ». C'est touchant, mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Pourquoi le dire au monde entier ?

 

Les Américains sont fascinés par la facilité avec laquelle de ce côté-ci de l'Atlantique, on ferme aisément les yeux sur ces accomodements avec la morale établie, des « deux femmes » de François Mitterrand présentes à ses funérailles, aux affaires conjugales du président actuel, sans oublier évidemment celles du patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn, qui a senti le vent du boulet du puritanisme américain passer bien près l'an dernier. Si Tiger Woods avait été Français, il aurait fait la « une » de Voici, mais n'aurait sans doute pas arrêter de golfer…

 

Mais à la vérité, la suspension de la carrière de Tiger Woods ne doit pas grand chose à la morale, mais tout à la frilosité de ses sponsors qui commençaient à s'éloigner de ce personnage hier porté aux nues, aujourd'hui sulfureux. Le sport y perd, mais la morale n'y gagne pas réellement.