Nobel 2009 :
Barack Obama icône (prématurée)
de la paix
Par
Pierre Haski
09/10/2009
A la surprise générale, il s'est
vu récompensé « pour ses
efforts extraordinaires en faveur
de la coopération entre les peuples
».
C'est la surprise de l'Académie Nobel : Barack Obama s'est vu décerner vendredi le prix Nobel
de la paix, à peine huit mois après son arrivée à la Maison Blanche.
Jusqu'ici, les dirigeants politiques récompensés par ce prix prestigieux l'étaient après la conclusion d'un accord mettant fin à un long conflit, ou du moins promettant
d'y mettre fin.
Il en est
ainsi allé de Henry
Kissinger, sans doute l'un
des plus controversés prix Nobel de l'histoire, qui l'a reçu en compagnie du Vietnamien Le Duc Thô en 1973 pour les accords de paix
mettant fin à des décennies
de guerre au Vietnam. Peu importe
que par la suite ces
accords n'aient pas été respectés.
Ou encore de Yitzhak Rabin, Shimon Péres
et Yasser Arafat, eux aussi
récompensés pour les Accords d'Oslo
(1993) qui promettaient une
solution au conflit israélo-palestinien
et avaient signifié la
reconnaissance historique entre les deux peuples. Là
encore, l'accord n'entraîna
pas la paix, mais le geste avait été
accompli.
S'agissant de Barack Obama, on salue l'intention, les paroles courageuses
et peut-être surtout l'homme et son parcours. Mais, comme le souligne malicieusement le blogueur Maître Eolas sur Twitter, c'est bien la première fois qu'on accorde le Nobel de la paix au chef d'un Etat qui en occupe militairement deux autres (l'Irak
et l'Afghanistan).
Le discours
du Caire
Du côté
positif, on relèvera que le nouveau président américain peut être salué pour avoir mis fin à l'engrenage fatal dans lequel l'administration Bush avait entraîné l'Amérique et le monde, celui
d'un affrontement des civilisations.
Le discours
du Caire de Barack Obama, en juin
dernier, est de ce point de
vue, un moment historique où un chef d'Etat tente d'inverser la marche du monde, et tend la main à un sixième
de l'humanité qui avait fini par considérer son pays comme l'incarnation du mal (et réciproquement).
De même
peut-on saluer les efforts d'Obama en vue de sortir de l'impasse au Proche-Orient, en tenant une
position ferme, pour une fois, face aux Israéliens et à la
colonisation de la Cisjordanie.
Mais dans un cas
comme dans l'autre, on en est encore au stade des « préliminaires », comme on dit dans
les relations amoureuses. Le passage à l'acte sera difficile, et les premiers pas ne sont pas tous encourageants, en particulier au Proche Orient.
Plus inquiétant
encore, ce prix Nobel intervient
alors qu'une intense réflexion a lieu en ce moment à
Washington sur la demande insistante des chefs militaires américains en Afghanistan d'accroître
de manière significative
les effectifs engagés dans la guerre contre les talibans. Le premier geste du
nouveau Nobel de la paix sera-t-il
d'envoyer des renforts
faire une guerre dont l'issue est plutôt
sombre ?
Un coup de pouce dans la bataille
de la réforme du système de
santé ?
Nul ne contestera que la personnalité de Barack
Obama est, à elle seule, digne de respect, d'admiration, et de toutes les récompenses. Mais il est devenu
président de la première puissance mondiale, et c'est sur ses actes
en tant que Président qu'il est désormais jugé.
Le bilan de huit mois est certes tout sauf déshonorant, mais de là à le Nobéliser, il y a un pas que l'Académie norvégienne n'a pas hésité à franchir.
Les jurés
ont-il souhaité donner un coup de pouce à Obama dans sa difficile
bataille interne sur la réforme du système de santé qui lui vaut d'être comparé à Hitler ou à Satan ? Ou ont-ils
simplement estimé que le fait d'avoir effectué une « rupture » avec l'ère Bush était en soi un fait historiquement notable ?
Ce prix Nobel fera en tout cas couler beaucoup d'encre, car il surprend, il interpelle,
et même avec toute la sympathie qu'inspire le personnage, il pose question.