Se sentant
trop bafoué, l’ours russe montre
griffes et dents!
Par Jean Matouk
Créé 08/15/2008
L’ours russe vient
de bouger ! A une tentative
imprudente de la Géorgie de
réaffirmer une fois pour toute sa suprématie sur
l’Ossétie du Sud, Poutine et Medvedev, son représentant
au Kremlin, ont réagi très vivement par une invasion militaire de l’Ossétie, ou leurs
troupes étaient déjà stationnées
en mission de « maintien de la paix
», poussant même jusque dans le territoire géorgien proprement dit, à Gori, pour bien confirmer la
menace. Nombre de commentateurs
condamnent évidemment cette intervention, dans un pays indépendant, comme manifestation
d’un regain d’impérialisme russe.
C’est d’abord méconnaître un peu l’histoire ; c’est ensuite faire peu de cas de la fierté russe bafouée largement
avant Poutine ; c’est enfin, incidemment,
démontrer l’inutilité et même la nocivité de l’Otan, n’en déplaise
aux nouveaux partenaires de l’Union
européenne venus de l’Est.
L’Ossétie a toujours été « autonome »
C’est en 1801 que la Russie a annexé
l’Ossétie. Durant l’ère soviétique, l’Ossétie du Nord a été intégrée,
évidemment sans consultation des peuples,
dans la Fédération de Russie, tandis que l’Ossétie du Sud était intégrée,
elle, dans la République socialiste de Géorgie, mais avec un statut d’Oblast (Région) autonome. Cependant, depuis 1925, les Ossètes des deux Républiques, qui ont leur propre langue commune, réclamaient l’unification.
En 1991, lors
de l’éclatement de l’URSS,
le nouvel Etat géorgien dirigé par un ancien apparatchik soviétique, Edouard Chevardnadze [1], mit fin à l’autonomie, ce qui provoqua la migration vers le nord d’une
partie des 95000 Ossètes du
Sud. En 1994, un mouvement indépendantiste profitant de l’affaiblissement du gouvernement
Chevardnadze, proclame l’indépendance de l’Ossétie du Sud. Deux référendums,
certes illégaux, ont donné 90% de voix à l’indépendance.
C’est cette situation que le nouveau président géorgien élu en 2004, Mickheil Saakachvili [2], a tenté de retourner par un coup de
force qui lui revient aujourd’hui en boomerang. D’autant
plus fortement qu’il a inauguré, en 2006, sur son territoire, le pipeline de 1774 km Bakou-Tbilissi-Ceyhan
[3], qui achemine le pétrole
d’Azerbaïdjan, en court-circuitant
le concurrent russe Caspian Pipeline Consortium (CPC)
[4], oléoduc qui achemine
le pétrole de la mer Caspienne jusqu’au port russe de Novorossiysk.
La Russie
pillée
Mais bien plus que des rivalités économiques, il faut faire intervenir ici la fierté russe.
L’URSS s’est effondrée de l’intérieur, du seul fait de l’incapacité reconnue par les dirigeants réalistes des années 1985-90, de donner au peuple russe un niveau de vie décent, et l’espoir d’atteindre un jour celui de l’Ouest, avec les structures économiques
étatisées.
A cela
s’est ajouté la preuve apportée par Reagan de la supériorité militaire décisive des Etats-Unis, les
technologies jouant un rôle
de plus en plus important dans la guerre moderne. Fusées, lasers, drones remplaçaient progressivement les hommes et les chars. Les dirigeants
russes savaient ne plus
faire le poids.
C’est alors que
l’équipe Eltsine a littéralement livré le pays à l’économie capitaliste, sous direction américaine. Elle a été pillée
par des hommes d’affaires souvent mafieux, certains toujours en place. L’économie russe a sans aucune doute
progressé, mais avec une montée des inégalités plus forte que partout
ailleurs. Poutine a donc décidé, et nul ne peut le lui reprocher, de faire reconquérir par des Russes, et
pour les Russes, les principaux
leviers économiques de Russie,
notamment les entreprises
de pétrole et matières
premières.
Qu’il l’ait fait au profit de proches, notamment d’anciens du FSB (ex-KGB), qu’il ait mis sans vergogne
en prison, voire fait assassiner,
certains des hommes d’affaires de la période précédente, noircit sans doute sa démarche,
mais elle reste politiquement juste Aucun dirigeant
ne peut assister sans réagir
au pillage de son pays et au triomphe des mafias.
La Russie
bafouée
Malheureusement, est ensuite
intervenue l’extension de l’Union européenne à l’Est, et la question de l’élargissement
de l’Otan. Pologne, Tchéquie et Slovaquie, Hongrie, Slovénie, ont rejoint l’Union,
mais avec des objectifs sensiblement différents de ceux que partageaient
les fondateurs et ceux qui sont venus ensuite,
à l’exception de la Grande-Bretagne.
Pour les fondateurs,
l’Union était destinée à devenir une confédération à statut partiel d’Etat souverain, ce qui supposait
une intégration politique. Pour les pays de l’Est,
à l’instar des Britanniques,
elle devait rester seulement un grand marché unique. Gardant au ventre la peur de l’ours russe, ils
n’ont jamais compté sur leur
intégration européenne pour
assurer leur sécurité. A leurs yeux, seuls
les Etats-Unis l’assurent. D’où leur suivisme
absurde des Américains dans l’aventure irakienne. D’où leur désir irrépressible
d’adhérer à l’Otan.
Erreur grave de leur part, car les
Etats-Unis, empêtrés dans l’affaire irakienne, et, avec leur alliés, en Afghanistan, ne bougeraient
pas pour un confetti d’ex-empire et peut-être même pas pour une invasion plus grave. D’autant
que les nouveaux dirigeants
américains à partir de novembre risquent fort de mobiliser toutes leurs forces sur les affaires intérieures.
L’Otan ne sert plus à rien
Et d’ailleurs,
à quoi sert l’Otan ? Elle avait pour but de regrouper les
pays capitalistes de l’Ouest
de l’Europe et des Etats-Unis
pour leur défense contre une supposée
attaque soviétique, dont tout le monde savait, dés qu’un certain niveau de puissance nucléaire symétrique avait été dépassé, qu’elle
n’avait qu’une très faible probabilité
d’arriver. A quoi servait-elle
encore à partir du moment ou
l’URSS avait disparu et ou la Russie, au demeurant bien affaiblie, ne menaçait plus personne ?
A rien
! Sinon à ce que ses membres
servent, le cas échéant, de supplétifs aux Etats-Unis. Comment voulait-on que Poutine ressente
la précipitation des nouveaux adhérents
à l’Union d’adhérer à l’Otan ? Et comment pouvait-il
accepter de sentir sa Russie bafouée par les demandes d’adhésion à l’Otan des ex-membres de l’Union soviétique, comme la Géorgie, justement, et l’Ukraine ?
On peut
comprendre que l’histoire ait mis la terreur anti-russe dans la tête
des Européens de l’Est, mais de grands dirigeants politiques auraient surmonté cette terreur et mené à la fois une politique pro-européenne active et une politique très prudente vis-à-vis d’un grand voisin
dont tout montrait qu’il redeviendrait puissant,
sans pour autant être agressif. Sauf à ce qu’on le provoque
!
Il faut
remercier les dirigeants allemands et français d’avoir su freiner
les intégrations géorgienne
et ukrainienne à l’Otan. Imaginons ce que
serait la situation si la Géorgie était aujourd’hui
membre de cette institution
désuète, l’Otan, censée assurer la « sécurité » de
ses membres.
Il faut
aussi travailler sans relâche à convaincre nos partenaires ex-européens que l’intégration
politique de l’Europe est, à terme, leur
meilleure sécurité, et, accessoirement, que nous ne les avons pas accueillis seulement pour financer leur développement ou recevoir leurs SDF! Et il faut
simultanément entretenir de
bonnes relations avec une Russie qui se relève et qui n’a évidemment aucune autre envie
que de se développer et de s’enrichir dans la dignité.
Photo : Poutine
et Medvedev à Moscou le 9 mai
(Kremlin.ru)