"Obama terroriste": l'ironie est-elle soluble dans l'information?
Par Pascal Riché
15/07/2008
Le New Yorker publie
chaque semaine, à sa une,
un dessin décalé, poétique, humoristique, un peu étrange. Ses vieux abonnés n'ont donc
pas dû trop s'offusquer de
la dernière couverture de l'hebdomadaire, qui présente le
couple Obama, installés dans
le bureau ovale, sous les
traits de terroristes.
Barack Obama est dans une tenue
musulmane classique (turban
et djellaba), tandis que sa femme Michelle, affublée d'une coiffure
"afro", est en treillis,
kalach' en bandoulière. Le drapeau américain brûle dans l'âtre,
un portrait d'Oussama Ben
Laden orne le mur.
L'image pousse jusqu'à
l'absurde certaines remarques que l'on
entend ici où là à l'encontre
de Barack Obama: il manquerait de fermeté face au terrorisme; son second prénom,
Hussein, trahirait des racines
musulmanes, etc.
Même McCain, le candidat républicain, l'a un jour qualifié de "candidat du Hamas". Selon un sondage récemment publié dans Newsweek 25% des américains croient qu'Obama a été élevé dans la religion musulmane, et 12% qu'il a prêté serment sur
le Coran quand il est devenu
sénateur!
L'ironie, genre à manier avec précaution. Libé et
Rue89 s'en souviennent
J'aime bien ce dessin provocateur. Mais l'ironie fait rarement bon ménage
avec la presse. Si une
grande partie des lecteurs de tout journal perçoit le second degré, beaucoup
d'autres y sont terriblement hermétiques. Je me souviens d'une manchette que nous avions
faite, pour Libération, lorsque Raffarin avait été nommé
premier ministre: "Raffarin,
enfin!!". Un tel soupir,
pour un personnage si peu charismatique, avait fait rire les journalistes lors de la réunion de "une".
Les lecteurs, eux, n'avaient pas du tout compris, et par conséquent, ils n'avaient pas du tout apprécié.
La dérision est
peu soluble dans l'information. Récemment, Rue89 a fait les frais en publiant une fable
humoristique.
La couverture du
New Yorker, hebdo pourtant plutôt de gauche, a donc déclenché un beau tollé outre atlantique.
L'équipe de campagne d'Obama n'a pas du tout goûté l'humour du magazine: c'est "de mauvais goût et offensant". Le candidat républicain
John McCain a lui même jugé cette couverture
"totalement déplacée".
Le New Yorker s'est
laborieusement justifié dans un communiqué: le dessin dénonce "les préjugés, la haine, l'absurde"… Trop tard.
Le mal est fait, la couverture fait le tour des blogs,
et de toute cette affaire, c'est l'image d'un Obama terroriste qui laissera une trace dans les esprits.