Communication
d'un éditorial pour Automates Intelligents
Par
Jean-Paul Baquiast
11
Juin 2013
Editorial.
PRISM. Le monde redécouvre la suprématie
de l'Amérique sur l'Internet
Jean-Paul
Baquiast, Christophe Jacquemin
11/06/2013
La
presse anglo-américaine commente abondamment depuis quelques jours l'ampleur de la
surveillance qu'exerce le gouvernement
fédéral, à travers ses agences de renseignement (NSA et CIA en
premier lieu), sur l'Internet
mondial. A la suite des révélations
successives du Guardian, les média
américains, même ceux considérés comme les plus proches du pouvoir (mainstream) font part de leur
étonnement.
Les
média européen, notamment français, sont beaucoup plus circonspects.
Au 10 juin, la presse écrite comme la télévision ne donnaient guère d'échos aux révélations de l'héroique Edward
Snowden. Le sujet du jour était
la mort accidentelle de deux
vieillards ayant pris des médicaments mal étiquetés.
C'est seulement dans son édition en ligne du 11 juin que Le Monde commence à publier
un nombre substantiel de réflexions. Encore ne va-t-il guère selon
nous au fond du problème, bien
résumé par les propos de Edwards Snowden au Guardian:
«
Je ne veux pas vivre dans une société qui fait ce genre de choses. Je ne veux pas vivre dans un monde où tout ce que
je fais et dit est enregistré. Ce n’est pas une
chose avec laquelle je veux
vivre ou que je veux supporter », a-t-il expliqué au quotidien. « La NSA a construit une infrastructure qui lui permet d’intercepter presque tout ce qui circule sur les réseaux numériques. Avec cette capacité, la vaste majorité des communications
humaines sont automatiquement ingérées sans ciblage. Si je veux voir vos courriels
ou le numéro de téléphone de votre femme, je n’ai qu’à utiliser
les interceptions. Je peux avoir
vos courriels, mots de passe, enregistrements téléphoniques, cartes de crédit. » « Mon seul but est d’informer
le public sur ce qui a été fait en son nom et ce qui est fait contre lui », a-t-il ajouté.
Pour
notre part, nous avions dès 2001 et plus systématiquement
depuis lors (voir les liens ci-dessous) attiré l'attention de nos lecteurs sur
le monde de surveillance et de contrôle généralisé qui se mettait en
place. Les Chinois, les Russes
et d'autres Etats font peut-être la même chose, mais ils ne disposent
pas pour cela des centaines
de milliards de dollars déployés par la « patrie » de la démocratie, les Etats-Unis, pour mener ce que Barack Obama la cyberguerre.
Ajoutons que, bien que nous soyions
lus par des dizaines de milliers de personnes très au fait des évolutions technologiques, ces articles n'avaient provoqué aucune réaction d'aucune sorte. Sans doute savons-nous mal communiquer. Mais peut-être aussi l'ignorance ou le refus de voir les réalités sont-ils plus forts en
France que nous ne l'imaginions.
Deux questions majeures
Deux types de question se posent. Les premières sont géostratégiques et nous dépassent
en grande partie (sauf sous l'angle
de la science politique). Elles
devraient pourtant intéresser en premier lieu les gouvernements
et les parlementaires français
et européens. Il s'agit du
fait que le système
politico-industriel, technoscientifique
et médiatique américain a mis en place depuis quinze ans un dispositif
de prise de pouvoir qui se comporte aujourd'hui comme une bastille
imprenable.
Ce système
repose deux piliers. Le
premier consiste en la mise
en mémoire devenue globale, notamment dans le centre de l'Utah géré par la NSA, de l'ensemble des informations personnelles et économiques émises dans les réseaux numériques par les
milliards d'utilisateurs de l'internet
et des objets portables dits
intelligents. Les informations
sont soit piratées, soit fournies bénévolement par tous les utilisateurs des Facebook, Skype, Google, etc.
Le
deuxième pilier de la
puissance américaine, qui se révèle
seulement aujourd'hui dans toute son étendue, repose sur le fait que les bases de données ainsi mémorisées sont dorénavant lues et analysées, non par des opérateurs humains qui en seraient incapables, mais par des
programmes logiciels développés à partir de milliards
de dollars de contrats par des entreprises
de haute technologie spécialisées
dans la recherche et le contrôle.
Ces programmes sont en train de devenir autonomes et co-actifs. Dans un premier temps, ils peuvent suggérer à des opérateurs humains des actions de
recherche et éventuellement
de destruction visant telle
ou telle personne physique ou entreprise dont l'existence serait jugée hostile aux intérêts américains. Très vite, ils prendront
eux-mêmes, sans mandat explicite, des décisions de
destruction ou d'incapacitation.
Ceci non seulement dans la lutte dite
contre le terrorisme, mais dans tous
les champs de compétition où
l'Amérique se confronte au reste du monde.
La
vieille peur des romanciers d'anticipation, selon laquelle les robots deviendraient les maîtres du
monde, est en train de se concrétiser.
Une nuance de taille cependant s'impose: dans les années prochaines, ces robots autonomes serviront globalement les intérêts scientifiques, économiques et géostratégiques, légaux et parfois criminels, du Système américain. Les lanceurs d'alerte tels Julian Assange, Bradley Mannings
et Edwards Snowdom, quels que soient les risques pris, n'y
changeront sans doute pas
grand chose.
Ne
soyons pas naïfs. Les gouvernements
européens et leurs
administrations font aussi appel
à ces méthodes et à ces données, mais
leurs moyens sont disproportionnés. L'Europe comme la France sont dans une
situation de dépendance à l'égard
des Etats-Unis qui ne leur laisse guère d'autonomie
et d'initiatives dans les
situations diplomatiques ou
économiques les mettant en compétition.
Le
retard pris est quasi irrattrapable. Pourrait-on envisager d'investir au moins 500 milliards d'euros pour permettre à des entreprises véritablement indépendantes des Etats-Unis de commencer à disposer de moyens
propres. Un De Gaulle aujourd'hui
essaierait sans doute de le
faire, comme il l'avait fait pour la force de frappe. Mais
les hommes de cette trempe ont disparu.
Nous devrons nous résoudre
à rester les porte-valises
de nos amis d'Outre Atlantique.
Ci dessous certains de nos articles précédents sur ce sujet
*
Nouvelles technologies numériques
et combat pour la démocratie
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2012/juin/numerique_et_democratie.html
*War
games at Crypto City
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2012/juin/crypto_city.html
*
Les écosystèmes de l'information.
Les réseaux sociaux, les fichiers de surveillance, les Anonymous... : des systèmes évoluant vers l'autonomie,
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2012/mai/ecosystemes_information.html
*
Un Big Brother mondial de 500 milliards de dollars,
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2012/avr/nsa.html
*
L'Amérique et le contrôle
des nuages de données (Big
data) http://www.automatesintelligents.com/echanges/2013/avr/bigdata.html
*
Encourager les lanceurs d'alerte
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2013/avr/lanceurs_d_alerte.html
*
James Bamford NSA, Body of
secrets http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2001/nov/bamford.html