« Riyad n’a pas les moyens de se doter de l’arme nucléaire »

 

TROIS QUESTIONS À... PATRICE GOURDIN

Propos recueillis par Lina KENNOUCHE

 

Dans une interview accordée à la presse française en décembre 2011, l'ancien chef des services de renseignements saoudiens, le prince Turki al-Fayçal, avait laissé entendre que Riyad n'excluait pas de se doter de l'arme nucléaire si l'objectif de la dénucléarisation du Moyen-Orient n'est pas atteint, « Si nous ne pouvons pas arrêter cette course, l'une des possibilités pour nous est de la rejoindre. » Près de 4 ans plus tard et après l'accord historique conclu avec l'Iran mardi, une initiative nucléaire saoudienne serait-elle à envisager ? Professeur d'histoire contemporaine à l'École de l'air (France) et spécialiste des questions de défense et de géopolitique, Patrice Gourdin restitue la complexité des problèmes que soulève cette question.

 

 

L'Arabie saoudite, signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), pourrait-elle entreprendre de développer son programme nucléaire militaire ?

Rappelons ici que « ne prolifère pas qui veut, mais qui peut ». L'accession à l'arme nucléaire suppose bien davantage que les moyens financiers, indispensables mais pas suffisants. Il faut aussi les compétences scientifiques et techniques, ainsi qu'une base industrielle spécifique. L'Arabie saoudite n'a ni les uns ni l'autre, et il lui faudrait des années pour espérer s'en doter. N'oublions pas que le programme nucléaire iranien remonte à plus de quarante ans et que son interruption lors de l'avènement de la République islamique (1979) fut annulée suite à l'agression irakienne de 1980. Ensuite, Riyad ne semble guère capable de s'affirmer comme puissance régionale, et les difficultés rencontrées au Yémen tendraient à le confirmer. Comment, dans ce cas, faire fi des pressions régionales et internationales contre la prolifération ? Rappelons que le Liban ne doit pas sa libération de l'occupation syrienne à l'accord de Taëf, mais à la pression conjuguée des États-Unis et de la France.

 

Les Américains ont-ils intérêt à ce que leur allié saoudien se dote de l'armement nucléaire ?

 

Les États-Unis sont hostiles à toute prolifération nucléaire. La constance avec laquelle ils ont œuvré contre le programme iranien en atteste. Rien ne laisse penser qu'une éventuelle prolifération saoudienne serait tolérée. Or, Riyad n'a pas les moyens de s'affranchir de l'alliance américaine. Le pacte conclu entre les deux pays à bord du croiseur Quincy en 1945 (protection américaine de la dynastie des Saoud contre sécurité des approvisionnements pétroliers des États-Unis... et de leurs alliés occidentaux) demeure vital pour la monarchie saoudienne à l'heure elle doit affronter la menace Daech et l'affirmation régionale de la puissance iranienne. La garantie américaine est le principal atout, sinon le seul, qui lui permette d'espérer se maintenir au pouvoir. D'un autre côté, avec la diversification des sources d'approvisionnement depuis le premier choc pétrolier (1973), l'exploitation du gaz de schiste permet aux États-Unis de s'affranchir de leur dépendance aux hydrocarbures du Proche-Orient. Aussi, sont-ils moins contraints d'accepter les éventuelles déviances de leurs partenaires dans la région.

 

Les attentats du 11-Septembre et l'implication saoudienne ont-ils encore un impact sur ce dossier ?

Il est permis de se demander si l'accord conclu avec l'Iran n'est pas, également, la vengeance américaine contre le 11 septembre 2001. L'implication saoudienne ne fut jamais dénoncée publiquement par les officiels américains, mais de nombreuses informations (notamment le témoignage de l'ancien sénateur Bob Graham, qui a présidé la commission du Renseignement du Sénat) ont mis en évidence le rôle trouble d'une partie des responsables saoudiens de l'époque. Certains spécialistes attribuent même à George Bush, Jr le projet pour punir la dynastie des Saoud, de la priver de la source de son opulence en soutenant la sécession des populations chiites de la province pétrolière du pays, le Hassa. Dans cette hypothèse, Washington aurait une raison supplémentaire pour ne pas laisser ce pays développer un programme nucléaire militaire.

 

Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence.

 

Contact: geopolitique13@orange.fr