La CIA à la torture

 

LE POINT

 

Christian Merville

 

C'est Barack Obama, quoi d'étonnant à cela ? qui a trouvé les mots justes : « Aucune nation n'est parfaite. Mais une des forces de l'Amérique est notre volonté d'affronter ouvertement notre passé (...) et changer pour nous améliorer. »

 

C'est l'incomparable New York Times qui a eu l'éditorial le plus impitoyable : « Il est probablement trop tard pour croire que quelque chose peut être fait. Mais peut-être que George Tenet (directeur de la CIA à l'époque) pourrait commencer par rendre au président Bush sa médaille de la Liberté octroyée lors de son départ à la retraite. »

 

C'est au ministère américain de la Justice que revient le déshonneur d'avoir tranché d'un hypocrite : le dossier restera clos « faute de preuve suffisante ».

 

Et pourtant... En 525 pages denses, assorties de 2 725 notes, résumé d'un texte de plus de 6 700 pages, un rapport du Sénatacte d'accusation plutôt que conclusions d'une enquêtevient de placer sous le nez de l'Oncle Sam un miroir qui semble lui dire : regardez-vous tel que vous êtes, menteur, tricheur, criminel parfois, arrogant, dominateur, violent, prétentieux, marchand de mort, indigne donneur de leçons. En définitive, quoi, ni plus ni moins vertueux qu'un autre pays, humain, trop humain.

 

Car n'est-ce pas ainsi qu'il conviendrait de lire le réquisitoire antiguerre contre le terrorisme, un prétexte qui autorise, ainsi en a voulu l'administration républicaine de l'après-11 Septembre, de recourir à toutes les armes, même la plus répréhensible d'entre toutes, la torture ? On croyait que, sur le sujet, tout ou presque avait été dit dans un ouvrage paru en 1958*. Eh bien non. Voilà qu'une nouvelle version nous est servie, à la sauce américaine cette fois, avec une foule de détails à rendre jaloux le « divin marquis », incluant exécutions simulées, privations de sommeil, roulettes russes, abus sexuels, menaces, gavages par voie rectale, décès par hypothermie...

 

On serait presque tenté d'implorer la clémence de l'opinion publique si de tels recours avaient donné quelque résultat. En fait, tout ce que la Central Intelligence Agency est parvenue à obtenir c'est, pour ne citer que le Moyen-Orient, le retour d'une Qaëda endurcie par les ans et les épreuves, l'éclosion d'un Daëch dont on n'a pas fini d'entendre parler, la redéstabilisation de l'Afghanistan – en attendant celle, accrue, du Pakistan – et presque partout un antiaméricanisme à son zénith et qui désormais « brille » de tous ses rayons. À aucun moment, soutiennent les auteurs du rapport, il n'a pu être établi que les techniques utilisées ont permis d'éviter un acte terroriste ; les maigres aveux extorqués ont toujours été obtenus avant le recours à la torture.

 

Il faut reconnaître toutefois à ces méthodes musclées un avantage : elles ont permis à leurs deux parrains d'amasser un gentil pactole. En effet, les Drs James Mitchell et Bruce Jensen, psychiatres de leur état, étaient royalement rétribués : 1 800 dollars par jour chacun, sur base d'une estimation par eux faite de leurs travaux (!). L'affaire était tellement juteuse qu'ils en vinrent à créer leur propre entreprise, chargée de prendre le relais de la CIA, laquelle devait débourser pour cela la coquette somme de 81 millions de dollars, en sus du million pour protéger le bébé contre d'éventuelles poursuites.

 

La condamnation par le Sénat reste à ce jour la plus sévère depuis le scandale dénoncé dans les années 70 par la commission Church, du nom du sénateur de l'Idaho parti en guerre contre la Maison Barbouze Inc. pour espionnage, tentatives manquées d'assassinat et administration de LSD à des détenus peu coopératifs. Quand on songe que, dans un rapport soumis au Congrès en 1989, l'agence dénonçait certaines techniques « inhumaines » comme étant « contre-productives », force est de constater que, depuis lors, elle s'est dotée d'un nouveau Manuel du parfait tortionnaireédition XXIe siècle remise à jour. Tenant compte aussi des exigences pécuniaires qui sont celles des temps modernes. Exemple : pour avoir provoqué la mort par hypothermie, le 20 novembre 2002, du terroriste afghan Gul Rahman, l'officier chargé de son interrogatoire a été condamné à... recevoir un chèque de 2 500 dollars pour un travail accompli à la perfection.

 

George W, dimanche sur CNN : « Nous avons la chance d'avoir des femmes et des hommes qui, au sein de la CIA, travaillent dur à notre service. Ceux-là sont des patriotes. »

 

Dick Cheney, ancien vice-président : « Bêtises que tout cela. L'agence avait reçu toutes les autorisations nécessaires, à commencer par celle du ministère de la Justice. »

 

Ah ! Ces pompiers-pyromanes qui, croyant éteindre l'incendie, soufflent sur la braise...

 

*« La question » par Henri Alleg, éd. de Minuit.