La guerre par procuration

 

Christian Merville

 

28/10/2014

 

Besoin d'une armée pour faire la guerre à votre place ? Une adresse : Constellis Holding. Si le nom ne vous dit rien, essayez Academi (jusqu'en 2011), Xe Services (cru 2009), enfin Blackwater Worldwide lors de la création par Erik Prince, en 1997, de cette firme de sinistre mémoire.

 

Le nom a surgi de nouveau la semaine dernière, quand le jury d'un tribunal fédéral de Washington a retenu la culpabilité de quatre anciens mercenaires dans la tuerie survenue le 16 septembre 2007 place Nisour, à Bagdad, et dont le bilan s'établit à 13 Irakiens tués de sang-froid (17 selon les enquêteurs irakiens). Réaction des avocats de la défense : « Verdict incorrect, incompréhensible, difficile à admettre... ». L'affaire ira donc en appel et les peines seront alors déterminées tandis que le président de la cour somnolera dans son fauteuil et que les journalistes consulteront fébrilement le site wikipedia.org, histoire de rafraîchir leur mémoire défaillante.

 

Nicholas Slatten, le chef de ces vigilantes des temps dits modernes, voulait « tuer le plus d'Irakiens possible pour venger le 11-Septembre ». Pourquoi des Irakiens, pourquoi tirer sur des personnes qui s'enfuient, sur des femmes et des enfants ? Parce que « les vies de ces gens ne valent rien; ce ne sont même pas des humains, ce sont des animaux », a-t-il répondu au procureur. Pour rappel : en 2009, un juge avait prononcé un non-lieu avant que les poursuites soient rétablies deux ans plus tard.

 

Des « Blackwater », il y en a des dizaines, des centaines si l'on compte les petites officines, éparpillées aux quatre coins de la planète, l'incontestable numéro 2 étant G4S, le plus grand employeur (625 000 personnes) après l'indétrônable Wal-Mart – qui est,lui, dans la grande distribution. Nuance. Quant au marché global, il est estimé à plus de 100 milliards de dollars, ce qui explique que l'on se dispute les places. Tous les gouvernements ou presque, pourrait-on dire, ont eu, ont, auront recours à ces mercenaires dont la mission peut aller de la libération des ouvriers chinois engagés dans la construction de routes au Sud-Soudan au combat d'arrière-garde contre les tombeurs de Mouammar Kadhafi, en passant par la protection d'installations pétrolières et celle des navires empruntant des voies maritimes infestées de pirates.

 

Les « affreux », on les retrouve ainsi dans plusieurs pays du Moyen-Orient, en Afghanistan et même en Amérique latine, notamment aux côtés des rebelles colombiens ou des narcotrafiquants péruviens. Ces « entités non étatiques », comme les appelle le site Global Research, œuvrent dans des régions aux frontières poreuses et ont fait leur réapparition dans les années soixante, avec l'éclosion des conflits régionaux, atteignant leur apogée au moment éclataient les guerres afghane, irakienne et aujourd'hui la campagne contre Daech.

 

Depuis 2008, date de leur apparition, les drones (faux-bourdons) ont commencé à bouleverser les grands principes des guerres classiques. On est passé ainsi de la proximité à la déshumanisation : le technicien assis devant un tableau lance et oriente l'engin, puis actionne le mécanisme lanceur de la fusée, dans un anonymat total. On ne se bat plus, on joue à la guerre comme autrefois à la bataille navale. Il n'y a pas de soldats, même de plomb, mais des manettes, des boutons, des voyants de couleur, parfois une voix désincarnée pour rectifier des défaillances possibles, une erreur de trajectoire. Le tout téléguidé à partir de la MacDill Air Force Base, à Tampa, en Floride, siège du Central Command.

 

Fini le temps l'officier chargeait, sabre au clair, à la tête de ses hommes, ceux-ci se battaient à l'arme blanche, les guerres se gagnaient/se perdaient dans les tranchées, la grenade pouvait tuer son destinataire comme son expéditeur.

 

Ces temps-ci, l'armée US étudie la possibilité de recourir à des mercenaires qui se chargeront d'épauler la troupe irakienne face aux rebelles de l'État islamique. Pari tenu pour Barack Obama, lequel s'était engagé à ne plus envoyer ses GIs sur les rives de l'Euphrate mais qui n'avait pas soufflé mot d'une éventuelle présence « civile ». En langage militaire, ces hommes auront pour mission de planifier les opérations, de glaner des renseignements et de renforcer les capacités logistiques des unités combattantes. Tout cela va encore coûter des milliards de dollars puisés dans la poche du contribuable, mais promis, juré, aucune goutte de sang américain.

 

« Ah Dieu ! Que la guerre est jolie », disait jadis le plus célèbre trépané de 14-18.