Des clowns et un Clooney

 

CLAUDE EL-KHAL

 

09/10/2014

 

Dès qu'ils ont appris que Walid Joumblatt était invité au mariage de George Clooney et Amal Alamuddin, le secrétariat général du 14 Mars a appelé à une réunion d'urgence.

 

Tous les membres du mouvement ont répondu présent, sans exception aucune.

 

À l'issue de cette réunion, un communiqué a été lu par le secrétaire général : « L'heure est grave, la patrie est en danger. L'hydre confessionnelle menace de dévorer le Liban et ses enfants. Nous avons le devoir de réagir. Nous ne pouvons pas laisser la République se faire piétiner par les forces du Mal et par le régime syrien. C'est pourquoi, au nom de la souveraineté nationale, et au nom de l'équilibre confessionnel, le mouvement du 14 Mars a décidé d'envoyer des représentants au mariage de Clooney-Alamuddin. »

 

Simultanément, le 8 Mars, qui avait aussi appelé à une réunion d'urgence, a convoqué une conférence de presse durant laquelle un communiqué a été lu et distribué à tous les médias présents : « L'heure est grave, la patrie est en danger. L'hydre confessionnelle menace de dévorer le Liban et ses enfants. Nous avons le devoir de réagir. Nous ne pouvons pas laisser la République se faire piétiner par les forces du Mal et par le complot sioniste. C'est pourquoi, au nom de la résistance nationale, et au nom de l'équilibre confessionnel, le mouvement du 8 Mars a décidé d'envoyer des représentants au mariage de Clooney-Alamuddin. »

 

Peu après, d'importantes délégations des 14 et 8 Mars se sont rendues l'une après l'autre chez Walid Joumblatt pour négocier une liste de noms. Mais aucun accord n'a pu être conclu. Chaque partie rejetant sur l'autre la responsabilité de l'échec.

 

Les discours se sont radicalisés. Les leaders politiques se sont injuriés, puis boudés. Un peu partout au Liban, des manifestations ont éclaté, des routes ont été coupées, des pneus ont été brûlés. À Tripoli, des manifestants ont piétiné l'affiche d'Ocean Twelve. À Achrafieh, des sit-in ont été organisés devant les cinémas. Dans la banlieue sud, des chemises noires ont fait leur apparition à tous les carrefours.

 

Une campagne « We love Lebanon with Amal & George » a été lancée par la société civile proche du 14 Mars. Les partisans du 8 Mars ont répondu par une autre campagne : « Sois belle et convole ». Rapidement, les réseaux sociaux se sont enflammés. Des disputes ont éclaté. Des accusations ont été échangées. Des friends ont été unfriendés.

 

Le gouvernement s'est réuni et a décrété, après un débat houleux, que le gouvernement devrait continuer à se réunir.

En fin d'après-midi, deux avocates et trois acteurs ont été kidnappés.

 

Le Parlement a été convoqué d'urgence. Tous les députés de tous les blocs parlementaires ont répondu à l'appel. À la tribune, les discours se sont succédé, le ton est monté, des insultes ont été proférées, des bagarres ont éclaté. Finalement, le président du Parlement a fait une proposition : « Pour que toutes les confessions soient dûment représentées, Walid Joumblatt devrait être accompagné par les trois présidents, de la République, du Conseil et du Parlement », avant de se rappeler qu'il n'y avait pas de président de la République. Il a subséquemment demandé aux députés d'élire immédiatement un chef de l'État. Mais au moment de passer au vote, les députés se sont précipités hors de l'hémicycle, provoquant un défaut de quorum.

 

Devant le Parlement, un député s'est insurgé : « Le président du Parlement veux y aller parce que la mariée s'appelle Amal. » Il s'est entendu répondre par un élu de l'autre bord : « Avec des invités comme vous, le couple n'a pas de Futur. »

 

Retransmis en direct sur toutes les chaînes de télévision locales et régionales, Walid Joumblatt, dépité, a lu une déclaration solennelle : « J'ai dit à toutes les parties que ce n'était pas moi qui décidais qui était ou n'était pas invité à ce mariage. Pour éviter tout conflit, j'ai dit que je ne voulais plus me rendre à Venise. Mais il semble qu'il soit trop tard, le pays est en ébullition, je ne peux plus rien faire. »

L'électricité a été coupée.

 

Dans la soirée, des coups de feu ont été entendus aux quatre coins de la capitale ainsi que dans toutes les grandes villes. L'armée libanaise s'est déployée sur tout le territoire. Des roquettes ont été tirées vers le nord d'Israël. L'armée israélienne a bombardé le Liban-Sud.

Le Conseil de sécurité de l'Onu s'est réuni en session extraordinaire. Une résolution a été votée à l'unanimité.

Le mariage a été annulé.

 

Claude EL-KHAL

 

Auteur, cinéaste, blogueur et dessinateur