Le Daech, c'est toujours la séquence Bush

 

par M. Saadoune

 

Des miliciens ivres de vengeance débarquent dans une mosquée et tirent dans le tas. Hier, c'était des miliciens chiites qui ont tiré contre des fidèles rassemblés dans une mosquée sunnite pour la prière du vendredi. Cela aurait pu être l'inverse et cela s'est déjà vu.

 

Le déchaînement sectaire en Irak a été allumé par les Américains en 2003 en détruisant tout, absolument tout, des fondements de l'Etat irakien. Au nom de l'extirpation du Baath et des partisans de Saddam Hussein. La décision de dissoudre l'armée irakienne a été un acte d'une gravité inouïe. Des analystes américains en conviennent aujourd'hui même s'ils affirment que rien n'était prémédité. Même si l'on a tendance à mettre en cause la légèreté du proconsul américain Paul Bremer qui aimait s'écouter en entendant les conseils d'une pure fabrication de la CIA comme Ahmed Chalabi, les décisions prises n'étaient pas des erreurs de casting. Les néoconservateurs au pouvoir avaient clairement posé comme objectif de détruire l'Irak en tant que puissance même potentielle.

 

Toutes les mesures prises, même si elles ont été signées par un cowboy caricatural avec ses grosses bottes, sont allées vers la réalisation de cet objectif. Et il faut redire, même si aujourd'hui on fait mine de découvrir dans l'EI ou Daech une menace sans précédent alliant «idéologie et sophistication militaire» pour reprendre la formule du secrétaire d'Etat américain à la Défense, Chuck Hagel. «Cela va au-delà de tout ce qu'il nous a été donné de voir». Les vieux tics de l'exagération sont aujourd'hui masqués par les actes hideux de l'EI. Mais on est quand même sur le même registre du discours qui faisait de «l'armée de Saddam» la quatrième force militaire du monde et ses «armes de destruction massive» (ADM) une menace gravissime car pouvant être déployées et activées «en 45 minutes», selon les menteurs de l'époque.

 

En réalité, même si à la Maison Blanche les décideurs paraissent moins excités que la bande à Bush, on est toujours dans la même séquence entamée par l'intervention américaine en Irak. Et dans le même but. L'Etat islamique ou le Daech, pour utiliser la dénomination arabe qui serait plus terrifiante, n'a pas la moindre chance de durer même si aujourd'hui on fait mine de s'étonner de sa «sophistication» et de son «financement». Mais il participe à la réalisation de l'objectif initial qui est le démantèlement total de l'Irak.

 

Aujourd'hui, le Daech donne une justification à un déversement d'armes sophistiquées à l'entité kurde du Nord qui est déjà autonome économiquement et gère «son» pétrole sans en référer à Bagdad. Avec le déferlement d'armes pour combattre le Daech, les Kurdes ont désormais tous les instruments pour se proclamer indépendants. La seconde mission de Daech - qui disparaîtra de la carte, n'en doutons pas un instant - est de pousser à la création d'une entité sunnite. Puisqu'ils s'entretuent, séparons-les, dira-t-on, par humanité. On le dit déjà. Le Daech permet aujourd'hui de faire passer l'essentiel de la feuille de route. L'Irak démantelé en trois voire quatre ou cinq parties, la Syrie morcelée, elle aussi, sur les mêmes bases. Cet horrible Etat islamique sans lendemain qu'on a laissé s'installer et qui a été financé à partir des pays du Golfe - amis indéfectibles des Américains - est décidemment bien utile.

 

Non, Bremer, en décidant de dissoudre l'armée irakienne «de Saddam», n'a pas fait d'erreur. Il a fait exactement ce qui était attendu de lui. Et on est d'accord, ce n'était pas un complot. On a fini par comprendre le message permanent de la propagande : ce que fait l'Empire n'est jamais un complot mais une décision, une gestion. Il le fait parce qu'il le peut et qu'il n'a pas de compte à rendre.