Les mystères de l'EIIL et la main des
États-Unis...
Scarlett
HADDAD
02/07/2014
L'imbroglio irakien
continue d'occuper les chancelleries du monde entier, soucieuses de comprendre les réelles
motivations de l'EIIL qui a proclamé
son califat sous la houlette du calife Ibrahim (Abou Bakr el-Baghdadi). Ce groupe a-t-il
son agenda propre ou est-il manipulé par des parties internationales ou régionales ? Où s'arrêtera-t-il ?
Les
questions sont multiples et d'autant
plus actuelles que le groupe s'est empressé
de désigner un émir pour le
Liban, Abdel Salam al-Ourdouni.
Cet homme, qui a été détenu à la prison de Roumieh avant d'en
être sorti dans des circonstances mystérieuses, est aujourd'hui activement recherché
par les services libanais, même
s'ils ont peu de chances de le retrouver,
car, en raison de ses nouvelles
fonctions, il doit être bien
protégé soit dans un camp palestinien, soit quelque part sur la portion de territoire syrien contrôlée par l'EIIL. Les
services de sécurité déploient
actuellement beaucoup d'efforts
pour tenter de surveiller
les camps palestiniens. Ils
avaient compté sur le déploiement d'une force interpalestinienne dans le camp de Aïn el-Héloué pour couper court à d'éventuelles tentatives de déstabilisation. En principe, un
accord avait été conclu à ce sujet,
avec l'Autorité palestinienne
et entre toutes les autres organisations, notamment le
Hamas, pour qu'une force de 160 hommes
se charge de la sécurité dans
le camp et empêche les éventuels
fauteurs de troubles d'agir.
Azzam Ahmad avait été même dépêché
par l'Autorité palestinienne
au Liban pour superviser le
déploiement de la force dans
le camp. Mais il n'a jamais eu
lieu pour des raisons qui n'ont pas encore été divulguées et, en tout cas, la force n'aura pas accès au quartier des « Tawarek » où se cachent les groupes extrémistes. C'est dire qu'en dépit de la bonne volonté déclarée
de l'Autorité palestinienne
et du Hamas, les zones d'ombre demeurent
multiples et les services de sécurité maintiennent leur état d'alerte, sachant que les développements en Irak et en Syrie n'ont pas fini de surprendre tout le monde.
S'il est certain que certaines parties en Arabie saoudite ont cru pouvoir profiter de la percée de l'EIIL en Irak pour mettre en difficulté l'Iran et couper le lien
territorial entre Téhéran, Damas
et le Sud-Liban, il est aussi vrai
que la soudaine
proclamation par l'EIIL du califat
islamique a pris de court
les dirigeants saoudiens. Pourtant, dans le discours fondateur de ce califat, le porte-parole du calife Ibrahim n'a pas mentionné « les royaumes » (ni Israël d'ailleurs) comme faisant partie
du califat islamique, se contentant de parler des émirats du Golfe, de la Syrie, de la Jordanie et du Liban, en plus de l'Irak bien sûr. Certains
analystes ont voulu mettre en cause l'authenticité de cet enregistrement vocal, mais les spécialistes des mouvements extrémistes islamistes sont formels, le califat islamique est bel et bien
né, et en principe tous les musulmans devraient s'y rallier.
Avec les fonds et les armes
pris en Irak, cet État est
même viable et il ne lui manque plus qu'un accès à la mer via la Jordanie.
Malgré cela, des
forces politiques au Liban
et ailleurs continuent à ne
pas croire à la réalité de
la menace que représente l'EIIL pour l'ensemble de la région. Ces forces sont convaincues que l'EIIL est
un « géant aux pieds d'argile », qui a un rôle à jouer pour l'instant mais qui quittera la scène une fois sa
mission accomplie. Certains
éléments pourraient aller dans le sens
de cette thèse, notamment le fait que les combattants de l'EIIL qui ont pris la ville
de Samarra ont soigneusement
évité d'attaquer les mausolées des imams chiites dans cette ville,
sachant qu'une telle attaque devrait
forcément entraîner une riposte violente de la part
de l'Iran. En même temps, ils ont commencé
à multiplier les provocations, comme s'ils voulaient pousser l'Iran à faire plus de
concessions en Irak, notamment
au sujet de Nouri
al-Maliki. Pour les partisans de cette thèse, la situation resterait ainsi contrôlable, au moins par les États-Unis qui,
après avoir promis de réagir violemment contre l'EIIL, ne cessent de réduire leur aide au régime irakien qu'ils ont pourtant
eux-mêmes mis en place.
D'ailleurs, un document classé
secret est parvenu lundi à
des milieux diplomatiques libanais, dans lequel il est
question d'un plan établi par le département
d'État pour favoriser le changement des régimes dans le
monde arabe et en Afrique
du Nord. Datant du 22 octobre
2010, ce document de 5 pages s'intitule
« Middle East Partnership Initiative » (Mepi) et se
propose de changer les régimes de la région (sauf l'Iran), en misant sur le renforcement
de la société civile et des
ONG avec l'aide de l'agence d'aide américaine (USAID). Le Mepi suggère d'appuyer
les Frères musulmans et d'autres
formations de « l'islam politique
». Le directeur de ce programme est actuellement
Paul Sutphin, ancien consul
général à Erbil puis directeur du bureau d'Israël et
des affaires palestiniennes au département
d'État. En septembre 2011, l'ambassadeur William Taylor a été
désigné directeur du
nouveau bureau appelé « The Office of the Special
Coordinator for Middle East Transitions ». Taylor avait
été ambassadeur des États-Unis en Ukraine pendant « la révolution
orange » de 2006 à 2009...
Certains documents relatifs
à ce programme n'ont pas encore été relâchés, mais ceux qui voient la main des États-Unis dans les troubles que connaît actuellement
la région sont convaincus qu'il ne faut pas accorder à l'EIIL plus d'importance qu'il n'en a parce que,
en réalité, ce qui se passe est un jeu
d'influence des États-Unis
qui veulent empêcher l'émergence d'un nouvel axe
puissant au Moyen-Orient et dans
le monde. Résultat, les groupes
islamistes se multiplient,
et l'alliance entre la Russie
et l'Iran se renforce, mais la partie est loin d'être terminée ...