Damas ou le tombeau
de l’Europe
27/09/2013
Échos De L’agora D’Antoine Courban
Quel séisme! Le
régime syrien use de gaz chimiques contre sa propre population. Le président américain Barack Obama monte au créneau, déploie son armada en Méditerranée.
On avait l’impression de
vivre un remake inversé de la crise
des missiles de Cuba en 1962. Et puis, grosse surprise : le président américain obtempère, recule et se rabat sur une solution diplomatique qui lui permet de sortir du guêpier syrien que, de toute évidence,
il n’apprécie pas. En dépit des crimes contre l’humanité, en dépit du viol des principes fondamentaux les mieux assis de notre monde et dont l’Occident s’est toujours voulu le gardien, le geste du président américain a été perçu comme
celui de César Auguste qui
ne veut plus être le maître
absolu de Rome mais préfère demeurer chef en son
village.
Néo-isolationnisme ? Ou révision d’options
stratégiques majeures ? L’avenir nous le dira. Néanmoins, l’attitude du président Obama a fait subir au
monde une secousse tellurique dont les retombées se feront sentir encore, durant les décennies à venir.
Obama
a-t-il reculé face à Poutine comme Khrouchtchev
avait reculé face à Kennedy
en 1962 ? Ce n’est pas tout
à fait certain. Déjà, lors de son fameux
discours du Caire, le 4 juin 2009, les observateurs les mieux avertis avaient
perçu le double danger qui sous-tend
la vision d’Obama : un certain
gauchisme anti-impérial doublé d’un communautarisme consensuel et pacifiste. Tout l’argumentaire de son discours avait ramené les problèmes du monde à une querelle de famille entre les héritiers d’Abraham : juifs, chrétiens et musulmans. Il avait appelé à une réconciliation
des monothéismes abrahamiques
comme assise d’une nouvelle ère de paix dans le monde. Il est évident que
de telles considérations sont largement insuffisantes pour se doter d’une
stratégie claire quand on est la plus grande puissance militaire de l’histoire.
La
crise syrienne n’a fait que confirmer cette impression. Barack Obama n’est
pas et ne souhaite pas être
un bâtisseur d’empire. Cela pourrait signifier que les USA, qui n’ont plus besoin du pétrole du Moyen-Orient, peuvent se permettre de se retirer du Levant
et de se rabattre progressivement
vers le continent américain
et l’immensité du Pacifique.
L’Amérique redevient une île au milieu des océans, une formidable puissance
maritime.
Mais que devient le reste du monde ?
Vladimir Poutine a bien compris la signification du vide ainsi
créé par Obama. Il s’est dépêché, vingt-quatre heures après le fameux discours du mardi 10 septembre 2013, de s’adresser au peuple américain en première page
du New York Times, un peu comme
s’il lui adressait la parole face à face, des rivages
atlantiques de l’Europe,
car l’enjeu de tous ces bouleversements demeure l’Europe ou, plutôt l’Euro-Méditerranée.
Le
nouvel isolationnisme américain, qui a ses raisons justificatives, révèle la nudité de l’Europe. La balle est maintenant
dans le camp de l’Europe occidentale dont l’hégémonie sur les mers est demeurée
incontestable depuis les temps de l’Empire
romain. Centrée sur la Méditerranée comme mer ouverte,
la civilisation a pu s’épanouir et prospérer autour de la mare nostrum mais, aussi, elle a pu
conquérir le monde et s’exporter
aux quatre coins du globe grâce
à la puissance de conquête des empires coloniaux dont les acquis stratégiques ont pu éviter
l’effondrement au XXe
siècle grâce aux interventions américaines,
lors des deux guerres mondiales notamment ainsi que de la guerre froide.
Sommes-nous toujours
dans un tel monde devenu si familier
? Rien n’est moins certain. Si, dans la foulée de la crise syrienne, un tel renversement en Méditerranée se confirme, cela voudrait dire:
–
une puissance continentale,
et non plus maritime, domine le vieux
continent eurasiatique.
–
La mer Méditerranée, dont le verrou oriental est en Syrie, sur
la double ligne de l’Oronte
et de l’Euphrate, n’est
plus une mer ouverte mais serait
devenue une des trois mers fermées
de l’Eurasie : mer Caspienne, mer Noire, mer Méditerranée.
–
Dans de telles conditions, l’Europe occidentale ne serait plus que ce que la géographie
a voulu qu’elle soit : un prolongement, une presqu’île de l’Eurasie.
On
le voit, un des enjeux majeurs de cette déroutante crise syrienne n’est pas seulement l’approvisionnement énergétique de l’Europe mais aussi son avenir politique.
L’Europe est-elle en mesure, dans la fidélité à son histoire et à sa
culture, de se doter d’une vision politique
de ce qu’est l’Euro-Méditerranée ? Si l’Europe
s’avère incapable de se doter des options stratégiques adéquates en matière de dialogue euro-arabe, l’histoire risquerait bien de retenir que l’Europe occidentale
fut enterrée à Damas.