Les quatre raids qui ont failli provoquer
une guerre généralisée
Scarlett Haddad
08/05/2013
Tout au long de la journée de dimanche, la région était au bord d’un embrasement généralisé, suite au quadruple bombardement israélien de la Syrie. Il a fallu des contacts intensifs et précipités entre Moscou, Washington, New York, Damas, Le Caire et Jérusalem pour que l’escalade qui semblait inévitable soit plus ou moins contrôlée. Si nul ne peut encore dire de quoi l’avenir sera fait, on peut, en tout cas, comprendre un peu mieux ce qui s’est réellement passé.
En dépit des armes, de l’argent et des hommes envoyés en Syrie pour combattre aux côtés de l’opposition, celle-ci était en train de perdre du terrain face aux forces du régime. Ce dernier avait en effet réussi à reprendre le contrôle de la route reliant Lattaquié à Damas via Homs, qui est en quelque sorte l’épine dorsale du pays. Des rapports de centres de recherche commençaient à parler d’un effondrement de l’opposition dans six mois, si rien n’est fait pour l’aider. Une délégation arabe conduite par le Premier ministre du Qatar accompagné du secrétaire général de la Ligue arabe s’est donc rendue aux États-Unis pour demander une intervention directe américaine dans le conflit en Syrie. Mais le président américain Barak Obama,selon des experts, n’a pas été convaincu de la nécessité pour son pays d’intervenir directement. Il a donc clairement exprimé son refus tout en étudiant la possibilité d’envoyer des armes plus efficaces à l’opposition. C’est à ce moment, ajoutent-ils, qu’Israël est intervenu, proposant ses services aux Américains. Cet appel du pied israélien est intervenu au moment où la délégation arabe présentait, à partir de New York, un projet de règlement du conflit israélo-palestinien par le biais d’un échange de terres entre les deux parties qui constitue en réalité, selon des observateurs, une grande concession de la part des Palestiniens qui renoncent ainsi au droit au retour et à une bonne partie du territoire de la Palestine.
Cette proposition a été perçue comme un signal arabe, après le feu vert tacite américain donné à Israël de lancer des raids contre la Syrie. Les avions israéliens, qui ont pris soin de ne pas entrer dans l’espace aérien syrien, préférant, selon certaines sources, violer une fois de plus la souveraineté libanaise, ont ainsi bombardé aux alentours de minuit, dans la nuit de samedi à dimanche, quatre positions syriennes stratégiques autour de Damas : la colline de Qassioun, où, dit-on, sont installées des positions russes et qui fait face au palais présidentiel, le siège de la garde présidentielle, des dépôts d’armes et de munitions et enfin le centre de recherche de Gemraya, le tout dans le secteur de Ghouta qui commande pratiquement l’entrée de Damas.
Deux heures plus tard, les combattants de l’opposition, ajoutent ces sources, ont mené une quarantaine d’attaques sur plusieurs axes dans la même région, dans le but de prendre d’assaut la capitale, croyant pouvoir profiter de la confusion régnant dans les rangs de l’armée après les bombardements israéliens. Les alliés libanais du régime syrien affirment à cet égard qu’il y a eu bel et bien une coordination entre l’opposition syrienne et les Israéliens et ils en donnent pour preuve l’interview accordée par un des porte-parole de l’opposition Hassan Rastouni à la télévision israélienne dimanche, dans laquelle ce dernier exprime sa joie des bombardements israéliens ajoutant, toujours selon les alliés de Damas, qu’ils interviennent à un moment où l’opposition était proche du désespoir. Lundi, l’opposition s’est empressée de désavouer Hassan Rastouni, mais selon les alliés libanais du régime syrien, ce désaveu est un peu tardif.
En principe donc, le plan était parfait. Mais les problèmes ont commencé lorsqu’il est apparu que l’armée syrienne était bien préparée et avait déplacé discrètement une grande partie de ses forces et de ses munitions. Elle a donc réussi, toujours selon les alliés libanais du régime, à repousser les attaquants, tout en poursuivant son avancée dans la région de Qoussayr et en parvenant à étouffer toute tentative de soulèvement sunnite à Bayda près de Banias (qui est la ville natale de Abdel Halim Khaddam). En même temps, « les amis de la Syrie » évoqués par le secrétaire général du Hezbollah dans son dernier discours ont volé à son secours. L’Iran a donné le ton en multipliant les menaces à l’égard d’Israël, maintenant une sorte de flou pour être encore plus inquiétant, en se contentant de dire que « la résistance répondra ». Le commandement syrien s’est aussitôt réuni pour annoncer sa volonté de riposter. Le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Moallem a contacté son homologue russe Serguei Lavrov, lequel a contacté son homologue américain John Kerry. Au fur et à mesure que les menaces se précisaient, les médias israéliens ont commencé à changer de ton. Citant d’anciens responsables militaires, ils ont commencé par rappeler que le Hezbollah dispose de quelques 60 000 missiles avant de préciser que 40 % des abris sont utilisables en Israël. Le chef de la municipalité de Haïfa a demandé de son côté le déplacement des usines pétrochimiques installées dans sa ville et le gouvernement israélien a interdit les vols civils dans la région du nord. Comme prévu, les États-Unis ont volé au secours des Israéliens et le président Obama a contacté son homologue russe lui demandant de recevoir John Kerry au cours de la visite de ce dernier à Moscou. Vladimir Poutine à son tour a contacté Benjamin Netanyahu pour lui enjoindre de ne plus entreprendre de telles agressions, moyennant son intervention auprès des Iraniens et des Syriens pour éviter une riposte qui ferait mal. La Syrie s’est alors contentée d’autoriser la résistance palestinienne à ouvrir le front du Golan et deux obus sont tombés l’un dans la partie occupée et l’autre en Israël sans faire de dégâts. Quelques heures plus tard, le ministre iranien des Affaires étrangères s’est rendu en Jordanie.
Il est ainsi clair que « le coup de pouce » israélien à l’opposition, concerté ou non, s’est retourné contre lui et qu’il a fallu une intervention américaine et russe directe pour stopper l’escalade. Quelque part, cela signifie que lorsque le président syrien déclare que le conflit syrien peut provoquer un embrasement généralisé, il avait raison, mais aussi que les grandes puissances ne veulent pas d’un guerre totale... Affaires à suivre.