L’autre printemps

 

22/10/2011

 

L’éditorial de Issa GORAIEB

 

C’est d’un trou à rats – une étroite cache souterrainequ’avait été extirpé un Saddam Hussein hirsute, avant de passer en jugement et de clore sa sinistre carrière en se balançant au bout d’une corde. Et c’est dans une conduite d’égout, domicile d’élection de ces peu sympathiques rongeurs, qu’a été débusqué et ensuite malmené puis abattu le fuyard Mouammar Kadhafi, qui se plaisait à traiter de rats, ou bien alors de cafards, les révolutionnaires libyens. Bien plus clémente pour d’autres tyrans déchusl’Égyptien Moubarak comparaissant devant le tribunal sur un lit de camp ou le Tunisien Ben Ali réfugié en Arabie avec une partie de son magot – aura été, en vérité, la fièvre du printemps arabe.

 

Ici un simulacre de procès au verdict fixé d’avance; et , un lynchage en règle doublé d’une exécution sommaire, ce qui porte l’ONU à réclamer une enquête et Amnesty International à crier au crime de guerre : outre une fin ignominieuse, les terribles destins de Saddam et de Kadhafi renferment plus d’un point commun. Mégalomanes acharnés à opprimer mais aussi à piller leur propre peuple, comme à entretenir grassement des réseaux terroristes, ils auront tous deux entraîné leur progéniture dans leur descente aux enfers. Reste le fait, passablement dérangeant, que l’un et l’autre ont été courtisés dans le passé par les mêmes puissances qui ont fini par décréter leur disgrâce. Et qu’à des degrés divers, l’Irakien et le Libyen doivent leur fatale infortune à des interventions militaires extérieures survenant dans un contexte international favorable et répondant à des motivations souvent inavouées, car fleurant trop fort le pétrole...

 

Lancée sous des prétextes qui se sont vite avérés fallacieux, l’expédition Bush a indéniablement débarrassé l’Irak et la région d’un véritable monstre; mais elle a aussi plongé ce pays dans un épouvantable chaos, suscitant de sanglantes tensions sectaires et des menées sécessionnistes : un précédent que feraient bien de méditer les nouveaux maîtres de la Libye émergeant tout juste de 42 années de dictature et qui, passé la griserie de la victoire, doivent s’atteler au colossal chantier qu’est l’instauration d’une démocratie crédible. Victoire d’autant plus délicate à gérer au demeurant qu’elle doit inévitablement être partagée, contrats commerciaux à l’appui, avec les puissances qui y ont activement contribué. En tout point décisif aura été en effet l’apport des frappes aériennes de l’OTAN qui ont désorganisé la machine répressive du régime déchu. L’aviation aura même été jusqu’à traquer Kadhafi dans son ultime cavale, attaquant son convoi et scellant ainsi son sort, encore que l’organisation atlantique assure, avec un bel aplomb, n’avoir pas eu connaissance de la présence du président déchu dans le convoi attaqué...

 

À qui le tour maintenant ? À l’évidence, c’est au Yémen et à la Syrie en crise que s’adresse l’avertissement de Barack Obama brandissant la preuve, made in Libya, que les régimes à poigne de fer finissent toujours par disparaître. Hier même, le premier de ces deux pays essuyait aux Nations unies un cinglant désaveu de son président, ainsi qu’une ferme condamnation de la répression étatique, indignité récemment épargnée à la Syrie qui a bénéficié d’un veto russe et chinois. Au Yémen comme en Syrie en revanche, l’épilogue libyen aura eu pour effet de galvaniser la contestation, même si jusqu’à nouvel ordre (ou désordre ?) toute intervention extérieure y demeure exclue.

 

Pour nous Libanais non plus, la leçon ne doit pas être perdue : c’est bien l’ère de l’impunité qui est en train de prendre fin dans cette partie du monde même si elle ne le fait que lentement, par à-coups, et le phénomène ne peut que nous être bénéfique. De force de dissuasion arabe en troupes d’occupation syriennes en passant par l’éphémère force multinationale, le Liban n’a pas manqué, dans un douloureux passé, d’interventions armées étrangères. C’est un tout autre type d’intervention cependant qu’il lui est donné d’expérimenter aujourd’hui, avec une justice internationale qui lui offre la chance rare de voir sanctionner le crime politique, l’assassinat télécommandé, suprême anomalie dans un pays qui se veut havre de liberté et de démocratie. Pour cette raison, c’est par La Haye que passe le printemps libanais.

 

Issa GORAIEB

 

igor@lorient-lejour.com.lb