Quand tremblent les tyrans
19/02/2011
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Ce qui peut porter un despote à
remiser provisoirement son gourdin et à lâcher
du lest face à une révolte populaire,
c'est seulement la crainte de débordements plus
graves. De faire des concessions ne suffit guère cependant
à exorciser une autre peur,
plus lancinante encore : celle de n'avoir fait en réalité qu'apporter de l'eau au moulin de la
contestation, laquelle en effet
découvre chaque jour un peu plus, émerveillée, l'énormité insoupçonnée de la capacité de pression qu'elle détient. C'est précisément quand ils entreprennent
de tardives réformes que les régimes autocratiques sont le plus vulnérables ; voilà qui équivaut
pour eux en effet à scier la haute branche sur laquelle
ils sont juchés, depuis des décennies parfois. C'est à ce même dilemme
que se trouvent confrontés en ce moment les gouvernements les plus divers de la région,
littéralement assiégés par
les foules en colère.
Au demeurant, certaines de ces concessions, offertes de bien mauvaise grâce,
portent plutôt à sourire. Ici en effet, on s'avise de distribuer de l'argent aux familles démunies ;
là, c'est avec du courant électrique gratuit ou une
baisse sensible des produits
de consommation courante que
l'on (se) propose d'acheter
le calme. On voit même le régime syrien, relativement épargné par le maelström qui parcourt le monde arabe, s'adonner à ce genre de compte
d'apothicaire, allégeant subitement ainsi les taxes douanières sur les produits d'importation et
alternant avec une tatillonne
minutie arrestations et libérations de défenseurs de droits de l'homme.
Avec les sanglantes
émeutes de Bahreïn, voici par ailleurs que s'impose à
l'évidence un facteur sectaire spécifiquement chiite, propre à affoler
plus d'une monarchie pétrolière du Golfe.
Citadelle du chiisme, se posant abusivement en modèle pour le reste de la région, l'Iran lui-même n'est pas à l'abri
de la tourmente : après avoir
prodigué force encouragements aux foules
égyptiennes, les autorités n'ont sévi qu'avec
plus de férocité contre les
manifestants défilant à Téhéran pour clamer leur soutien
à la même et admirable révolution du Nil.
En fait d'encouragements toutefois, c'est surtout l'attitude
de la superpuissance américaine
qui ne laisse pas de rendre perplexe. Après un bref moment de flottement, voire de confusion, c'est autour de ces deux idées-force
que s'articule clairement, désormais, la
doctrine Obama : appui aux mouvements
pacifiques pour le changement
démocratique et appels insistants aux gouvernements en
place pour qu'ils se soumettent
à la loi du progrès et, par-dessus tout, qu'ils s'abstiennent à leur tour de toute violence. Aussitôt adoptée par les pays européens, la démarche ne manque certes pas d'une certaine noblesse, vu l'état déplorable de la démocratie dans cette partie du
monde. On est en droit de s'interroger néanmoins sur les risques de dérapage d'une politique que l'on dirait
empreinte soit d'une inquiétante candeur, soit alors
d'un effrayant cynisme.
Ce
sont en effet les ombres de deux anciens présidents américains qui semblent planer sur l'actuelle administration US. De Jimmy Carter, Barack Obama hérite,
bon gré mal gré, de l'angélique image d'une Amérique sacrifiant ses plus fidèles alliés, en l'occurrence le chah d'Iran, sur
l'autel des droits civils et favorisant objectivement, dès lors, l'émergence de la république des mollahs. Et si les Frères
musulmans d'Égypte font à l'heure actuelle
assaut de modération, si de toute manière
ils sont en porte-à-faux avec le souffle libéral de la révolution et restent contenus par l'armée, on ne saurait en dire autant des autres théâtres de crise. De George W. Bush, Obama hérite
de deux guerres américaines livrées en terre d'islam (Irak et Afghanistan) mais aussi - qui l'eut dit ? - d'une concrétisation
à retardement de ce projet de Moyen-Orient
démocratique que brandissait maladroitement le bouillant Texan.
Ce qui, pour les Arabes, n'a pas trop changé dans le fond, c'est le drame d'une Amérique
outrageusement alignée hier sur son protégé israélien, et impuissante aujourd'hui, en dépit de ses bonnes résolutions
publiquement proclamées, à imposer à celui-ci
un gel de la colonisation juive
en Palestine. C'est le spectacle d'un Oncle Sam qui n'effraie plus ses ennemis
mais qui, en revanche, donne des sueurs froides à ses
amis.
Issa Goraieb
igor@lorient-lejour.com.lb