Wikipiques

 

Issa Goraieb

 

01/12/2010

 

Plongé dans la crise par une série de révélations de presse qui ont porté le parti de Dieu à lancer une féroce campagne préventive contre le Tribunal spécial pour le Liban, notre pays n'est plus le seul désormais à souffrir de ce genre d'indiscrétions médiatiques.

 

L'affaire WikiLeaks a proprement ridiculisé le colosse américain dont les documents hautement confidentiels ont été subtilisés en masse de ses archives pour s'en aller engorger le web. Accessibles à tout un chacun sont ainsi aujourd'hui les erreurs de jugement qui ont pu conduire à plus d'une équipée diplomatico-militaire US. Nombre de fonctionnaires du département d'État sont dans leurs petits souliers pour avoir formulé des commentaires peu charitables sur des dirigeants étrangers : secrets d'État qui ne s'arrêtent guère à l'engouement maladif du président libyen pour sa plantureuse nurse ukrainienne puisque, à leur tour, divers chefs d'État sont au plus haut point embarrassés par la divulgation des recommandations ou requêtes, pas toujours pacifiques, adressées à l'unique superpuissance mondiale. C'est le cas par exemple du roi Abdallah d'Arabie saoudite pressant Washington de trancher la tête du serpent, de porter un coup décisif à l'Iran avant que celui-ci se soit doté de l'arme nucléaire.

 

Une fois n'est pas coutume, le Liban se tire plutôt honorablement, ma foi, de ce gigantesque déballage de linge sale, même si le chef du gouvernement Saad Hariri a démentir, hier à Paris, avoir lui aussi incité Washington à sévir contre Téhéran. Du bac à lessive, son prédécesseur Fouad Siniora, bête noire de l'opposition, émerge en effet comme un ardent patriote défendant âprement la souveraineté du pays et s'opposant farouchement à toute absorption définitive des réfugiés palestiniens vivant sur son territoire. Il apparaît aussi comme parfaitement au fait des fausses promesses de stabilisation qu'affectionne Damas, conseillant à ses interlocuteurs américains de s'abstenir de toute concession prématurée, qui risquerait fort de s'avérer gratuite.

 

 

Pour en revenir aux fuites affectant plus directement - et plus gravement - le Liban, quiconque a visionné la dernière en date de celles-ci, à savoir le documentaire de la radiotélévision publique canadienne sur l'enquête Hariri, n'a pu qu'être remué par l'évocation, faite en introduction et en finale de l'émission, du capitaine Wissam Eid. Passant au crible les centaines de milliers de communications téléphoniques survenues au moment de l'attentat du 14 février 2005, c'est ce jeune officier de police extraordinairement doué pour la cybernétique qui, damant le pion aux spécialistes étrangers appelés à la rescousse par les investigateurs, était parvenu à localiser puis à regrouper par paliers successifs les appels suspects ayant servi à l'exécution de l'attentat.

 

Eid se rendait bien compte que sa découverte allait lui coûter la vie. Le plus poignant est qu'il s'était préparé à cette terrible perspective, sans jamais renoncer pour autant à ses recherches. Des allégations selon lesquelles ces indices ne valent rien, car Israël aurait réussi de longue date à infecter, aux fins de le manipuler à sa guise, le réseau de télécommunications libanais, il a déjà été dit dans ces mêmes colonnes qu'elles étaient un incroyable affront à l'intelligence des gens ; il est d'ailleurs honteux que le ministre des Télécoms en personne y ait apporté, la semaine dernière, son bénévole mais bien peu convaincant concours. Que ces mêmes balivernes, théâtralement réitérées dimanche par le chef du Hezbollah, apparaissent de surcroît désormais comme une insulte à la mémoire comme au martyre du capitaine Eid, ne conforte en rien, évidemment, la tenue morale d'un aussi extravagant plaidoyer.

 

Un autre motif d'insatisfaction pour Hassan Nasrallah devrait être le subtil démenti qui lui a été opposé par ses propres parrains et protecteurs, à propos de l'actuelle tournée à l'étranger de Saad Hariri, qu'il qualifiait de pure perte de temps. Visite fructueuse et même historique, ont au contraire commenté les dirigeants iraniens, même si le guide suprême, l'ayatollah Khamenei, a cru bon de presser le Premier ministre de se rapprocher du leader du Hezbollah. Davantage apprécié, en vérité, eut été un encouragement public, adressé à la milice cette fois, pour qu'elle fasse ne serait-ce qu'un tout petit pas vers la légalité, l'État et la primauté des institutions.

 

igor@lorient-lejour.com.lb