Rituels
Éditorial Issa Goraieb
29/04/2009
De la visite
éclair effectuée dimanche
dernier à Beyrouth par Hillary Clinton, on retiendra surtout son chaleureux et insistant
éloge des vertus de la modération, dans un pays où se sont donné
libre cours, ces dernières années,
les passions politiques les plus débridées.
Le fait n'est évidemment guère fortuit et
traduit assez fidèlement la dose précise de changement que représente, pour notre pays, l'avènement de l'administration
Obama.
Ce qui n'a pas changé d'un iota, à en juger par
les indications publiques, c'est
l'engagement ferme des États-Unis en faveur de l'indépendance, de la souveraineté
et de l'intégrité territoriale
de notre pays, c'est l'assurance que ses intérêts ne seront pas sacrifiés sur l'autel des accommodements avec les États
influents de la région. En cela,
et la secrétaire d'État n'a pas manqué de le dire
sans ambages, Washington continue de soutenir les principes de base de
la révolution du Cèdre.
Ce qui a changé du tout au
tout en revanche, c'est l'évaluation américaine de la méthode à suivre pour concrétiser au mieux tous ces idéaux,
et avec eux la réhabilitation de la démocratie libanaise. Il n'est
plus question ainsi, comme sous George W. Bush, de sonner matin et soir le clairon en signe de soutien US au 14 Mars, pour appréciés
que puissent demeurer ses slogans. Pour les Américains, l'homme qui incarne cette modération
tant vantée c'est, à l'évidence, le président Michel Sleiman, seul officiel qu'a
rencontré Hillary Clinton durant sa très brève escale
beyrouthine. Le temps visiblement
n'est plus où la carence puis la vacance frappant la charge présidentielle faisaient du
Premier ministre Fouad Siniora l'interlocuteur, le partenaire privilégié de la quasi-totalité de la communauté internationale.
Cela augure-t-il forcément d'un regain d'influence
pour Baabda en matière de répartition des pouvoirs au Liban, régi depuis
deux décennies par des interprétations diverses de l'accord de Taëf ? Pour cela, il
faudrait que Sleiman, militaire sorti du rang, candidat de
consensus dont l'élection s'avéra néanmoins des plus laborieuses, dispose d'un minimum de troupes parlementaires et gouvernementales,
susceptibles de faire le poids
dans cette véritable foire d'empoigne qu'est invariablement tout partage du gâteau étatique. La modération au Liban n'étant pas un homme
seulement, mais également un projet, c'est en fait l'émergence d'un
bloc centriste à l'issue
des prochaines législatives
que voudrait promouvoir Washington, sans avoir
l'air d'y toucher.
Comme il
fallait s'y attendre, le message n'aura pas été au goût de tout le monde. On
a vu ainsi le général
Michel Aoun se récrier à l'idée d'un bloc artificiellement
dévolu à ce
président que lui-même eût bien
voulu être mais qu'il n'est
pas, bien que disposant d'ores et déjà, lui, d'un groupe consistant au Parlement. Non moins frappant de maladresse, au demeurant, était sa dénonciation
du rituel auquel se prêtent tous les hôtes étrangers en allant se recueillir, comme l'a fait elle aussi Hillary Clinton sur la tombe de Rafic Hariri, alors qu'il existe, pour ce type de cérémonie, un monument
au soldat inconnu. Car si
on croit volontiers avec le
général que nul dans ce
pays ne peut prétendre détenir le peu enviable monopole
du martyre ; s'il est tout aussi vrai que Rafic
Hariri, de son vivant, n'a jamais
fait l'unanimité des Libanais,
il semble toutefois avoir échappé au chef du CPL que tous ces hommages
posthumes à la mémoire de l'ancien Premier ministre assassiné sont aussi, et peut-être même surtout, une
dénonciation de cet abject terrorisme qui a emporté tant de chefs politiques et
leaders d'opinion, un refus
de l'impunité pour les assassins, un acte de foi dans
le sérieux et l'impartialité
de la justice internationale.
C'est aujourd'hui même d'ailleurs que devrait être
faite une première démonstration de ce sérieux, quand le juge de mise en état auprès du Tribunal spécial pour le Liban statuera sur le sort des quatre généraux détenus en relation avec l'affaire
Hariri, une décision qui n'affecte en rien cependant la suite du processus judiciaire. On entendra probablement d'aucuns rappeler doctement à cette occasion que tout suspect est présumé
innocent jusqu'à preuve du
contraire. Était-ce néanmoins
une raison suffisante pour d'aucuns de sacrifier, eux, au rituel du chemin de Damas sans la moindre contrepartie pour le pays ; de recouvrir de palmes d'innocence certain régime
qui reste à ce jour le
premier des suspects ?
Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb