Au pays du possible
By
Christian Merville
Democracy
is coming to the USA
It’s
coming from the sorrow in the street
The
holy places where the races meet
(Leonard
Cohen – « Democracy » - The Future)
Déconcertante Amérique,
qui nous avait donné le pire, George W. Bush, et qui vient
de nous offrir, on veut tant le croire, le meilleur. Étonnants Américains qui savent si bien trouver
le ressort pour rebondir et
faire oublier huit années de désastreux errements. Frileuse Europe, qui paraissait orpheline d’un chef hier, aujourd’hui comme soulagée de voir le faix de nouveau assumé outre-Atlantique.
Historique ce
mardi 4 novembre 2008 ? Certes,
et bien plus, il faut l’espérer. Sans doute faudra-t-il quelque temps pour en réaliser l’importance, alors que l’abolition de la ségrégation raciale n’a que quarante-quatre
ans. Et que le héros de cet événement historique
vienne de l’Illinois, patrie d’Abraham Lincoln, lui confère un éclat tout particulier, retrouvé l’espace de quelques instants dans le regard de ces hommes, de ces femmes venus voir se lever à Chicago l’aube d’un jour nouveau et écouter
un homme leur parler, avec des accents churchilliens,
du chemin ardu qui les
attend.
Le
miracle, c’est un pays enfin
réconcilié avec lui-même
après une trop longue brouille, c’est un espoir renaissant en un avenir meilleur, quand tout semblait gris et que les principes les plus sacrés, ceux de démocratie, de liberté, d’esprit d’entreprise, avaient perdu leur sens,
déformés à Guantanamo, à Kandahar, en terre de Palestine. Il martelait,
le nouveau président : « Yes, we can », et la foule reprenait en chœur ces trois
mots magiques, dans une sorte
d’exaltation, de catharsis après la grande peur des semaines passées. Il disait aussi : « Vous avez répondu
ce soir à ceux qui doutent encore que dans ce
pays, tout est possible, qui se demandent
si le rêve des pères fondateurs ne s’est pas évanoui, qui s’interrogent sur la puissance de
notre démocratie. » Et la réponse, on la voyait, au Grant
Park de Chicago noyé sous
les vagues de drapeaux, dans les larmes qui coulaient sur les joues. Tout cela parce qu’un chef venait de naître, inconnu il y a quatre ans
encore, qui nous permettait, par la magie de son verbe, de nous
imaginer, au-delà des frontières
de son pays, tous américains,
enfin solidaires après avoir été si
longtemps divisés.
Mais redescendons
à terre, puisque c’est de politique qu’il s’agit, et de sa forme la moins
ragoûtante : un processus électoral. Sans rien ôter de sa grandeur à l’instant ni de sa puissance au charisme de
Barack Obama, relevons quand
même tout ce que cette victoire
doit au génie des stratèges du Parti démocrate qui ont conçu dans le moindre
détail une campagne ayant permis, en définitive, de remporter, exception faite pour
le Texas – plus bushien qu’il
ne mérite –, tous les grands États : Californie, Illinois, New York, New Jersey, Ohio, Pennsylvanie, soit les
indispensables voix d’un total de 349 grands électeurs, un raz-de-marée depuis longtemps inégalé. L’objectivité oblige à reconnaître
qu’ils ont été aidés par leurs
confrères républicains qui ont conçu un parcours
de caniveau, jalonné de
coups de Jarnac et couronné
– mais cette initiative, on
la doit au candidat du
Grand Old Party lui-même – du choix
désastreux d’une Sarah
Palin réussissant malgré tous ses handicaps à avoir ses quinze
minutes de célébrité mondiale,
autrefois promises à tout un chacun
par Andy Warhol. Le plus désolant, c’est que ses
partisans avaient fini par ne plus reconnaître leur John McCain, personnalité politique unanimement respectée après avoir été un héroïque prisonnier du Vietcong et qui méritait
certainement mieux que le rôle indigne
à lui confié. Et puis, comment douter que la campagne la plus longue de
l’histoire américaine, la
plus coûteuse aussi, figurera en bonne place, sous peu, dans
les cours de sciences politiques,
relatée par un nouveau Theodore H. White, auteur d’une monumentale série intitulée « The Making of a
President » ?
Une fois oubliés
les flonflons de la victoire
et terminée la période studieuse de la transition, viendra
l’heure où, pour la communauté internationale, il faudra s’attaquer
aux problèmes posés par une économie moribonde,
un terrorisme plus menaçant
que jamais, une planète en manque d’oxygène, une société sans leadership véritable. Pour les États-Unis, il s’agira de réduire
les impôts, de se dégager
des bourbiers irakien et afghan,
de rendre accessibles à tous les soins de santé – autant de défis lâchement ignorés par la précédente administration. Alors
les mots, quelque exaltants qu’ils puissent être, ne suffiront pas. Ni les promesses
de lendemains meilleurs, s’ils tardent à survenir. La déception pourrait alors être aussi cruelle
qu’avaient été grands les espoirs soulevés, quand tout paraissait possible.