Transparence
Par Laurent Joffrin, Directeur de «Libération»
31/12/2010
Le mot de l’année ? Transparence,
évidemment. Vieille idée, dira-t-on.
Mais
fortune nouvelle en 2010. Qu’on en juge : WikiLeaks fait scandale en
jetant la lumière sur une myriade
de documents officiels et confidentiels
; le gouvernement promet la
transparence totale dans l’affaire du Mediator ; l’enregistrement
subreptice d’une
conversation privée au sein
de la famille Bettencourt, soudain
mise au jour, engendre un scandale national ; DSK et
Martine Aubry font mine de se mettre
d’accord sur la candidature
socialiste qu’on dénonce aussitôt un arrangement
opaque et qu’on fait l’apologie
du processus de primaires socialistes, résolument
transparent ; les maires des grandes
villes déploient un arsenal
de caméras de surveillance pour lutter
contre la délinquance ; les
enfants des victimes de l’attentat de Karachi réclament
la transparence dans des contrats
d’armement jusque-là tenus secrets… On exige la
transparence - et on l’obtient souvent
- sur les avantages des députés, les bonus bancaires, le salaire des patrons, l’opération pratiquée sur Johnny Hallyday, les méthodes de guerre
en Afghanistan, les biens mal acquis
par les chefs d’Etat africains,
les expropriations consécutives aux inondations de Charente, les modèles
mathématiques utilisés par
les climatologues, les pratiques
numériques de Google Earth et les frais
de transport du président de la République.
Transparence
? C’est
la loi et les prophètes ! Aussitôt, un certain conformisme politico-philosophique s’alarme. Dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, on pourrait ajouter un nouvel article.
Transparence : tonner contre,
dénoncer sa «dictature». La société transparente serait l’antichambre d’un nouveau totalitarisme,
où chacun serait sans cesse épié, contrôlé. Orwell est convoqué,
bientôt suivi par le Surveiller et Punir de Michel
Foucault. Il y a là, il faut le dire de manière tout à fait transparente,
une grande obscurité. Le discours sur la transparence dispense surtout de la confusion. Car enfin,
faut-il vraiment s’inquiéter de voir le citoyen des démocraties exiger des pouvoirs une plus grande ouverture ?
Les décisions dont il exige la transparence sont celles qui le concernent, et dont il paiera, en cas
d’erreur, le prix fort. Si la
transparence réduit les droits
de l’individu, elle doit être combattue.
Les caméras de surveillance, les fichiers
numériques, les profils dressés sur Internet par des sociétés privées ou publiques doivent
être soumis à la vigilance
des lois, leurs méthodes régulées, leur application circonscrite ou interdite. Mais
s’il s’agit de faire la lumière sur les agissements des pouvoirs, qui peut se gendarmer ? On assiste non pas à l’émergence d’un totalitarisme
nouveau, qui n’est qu’un épouvantail destiné à protéger les puissants, mais à un progrès de la démocratie, qui oblige les responsables
à écouter leurs mandants et à rendre compte de leurs actes, au préalable rendus publics. Une république impérieuse
et opaque cède la place à une
démocratie accessible à tous.
Le projecteur de l’opinion se braque sur la corruption, l’arbitraire
et les excès de pouvoir.
Et l’on voudrait s’en alarmer… La dénonciation de la transparence, pont
aux ânes du conservatisme, aboutit, in fine, à une forme d’obscurantisme politique. Peut-on vraiment demander l’opacité quand on se réclame des Lumières ?