Anti-Etat

 

Par Laurent Joffrin Directeur de «Libération»

 

Il y a une injustice cruelle dans le vote des Américains. Pour avoir hérité d’une situation cataclysmique, Barack Obama doit concéder une défaite cinglante face à ceux qui ont créé le cataclysme. La politique dogmatique des républicains, dictée par Wall Street, a déclenché une crise économique qui a failli égaler celle de 1929. Parce qu’il a tenté de sauver les meubles, parce qu’il a pris les mesures d’urgence qui s’imposaient et parce que ces mesures n’ont pas eu le temps de produire leurs effets, Barack Obama est sanctionné. On dira qu’il n’a pas su mobiliser ses électeurs, qu’il s’est englué dans des compromis washingtoniens, qu’il a perdu sa force d’entraînement. Certes. Mais on débouche sur cet amer paradoxe : ceux qui lui reprochent de n’avoir pas gouverné assez à gauche ont assuré, en s’abstenant, la victoire de la droite la plus extrême.

 

Cette mésaventure - qu’on espère provisoire - doit faire réfléchir toutes les gauches. Le scrutin révèle la force dangereuse et imprévisible de l’individualisme populaire. L’Etat fédéral a évité le pire en intervenant vigoureusement pour prévenir une dépression économique : il a prêté du même coup le flanc à la méfiance antiétatique si profondément ancrée dans la conscience du peuple américain. L’Etat se porte au secours des individus. Mais les individus n’aiment pas leur sauveur. La leçon vaut bien au-delà des Etats-Unis.