«Yes we can», expression populaire

 

Le «Libé» des philosophes

 

En préférant le «nous» au «je», l’union à la division, Obama nous donne une leçon.

 

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MICHAËL FOESSEL, FRANÇOISE GAILLARD et MYRIAM REVAULT D’ALLONNES

 

«Yes we can», ce n’était qu’une formule. Mais en politique dire, c’est déjà commencer à faire. Le slogan a enflammé l’Amérique : est-il exportable ? Petit décryptage à l’intention de nos hommes politiques.

 

Un «nous» qui n’est ni de majesté ni de populisme

 

Même lorsqu’il se raconte, Barack Obama parle au pluriel. «Nous, le peuple» : ce sont les premiers mots de la Constitution américaine repris dans son discours de Philadelphie du 18 mars 2008. Le futur président invoque la puissance collective et rappelle que le pouvoir se partage avant de se prendre. Ni souveraineté d’un seul ni démocratie participative à la française, ce «nous» en appelle à la réappropriation par les citoyens d’un destin politique confisqué par l’administration Bush. Tout au long de sa campagne, Barack Obama a su conjuguer son désir plutôt que de l’imposer aux autres. La puissance du «nous» n’est pas le triomphe de la volonté du «moi». C’est d’abord par qu’est venue la dynamique qui l’a mené à la Maison Blanche.

 

Le corps tranquille

 

Qui a jamais vu Obama sortir de ses gonds? Il fait de la gymnastique tous les matins, sans que personne ne l’ait jamais vu transpirer dans son jogging. Au point que beaucoup se demandent ce que cache une telle maîtrise de son image. Pour une fois, fions-nous aux apparences : le problème n’est pas de savoir «qui» est Obama, mais ce qu’il donne à voir et à entendre. Bien sûr, son discours a des accents religieux : nous sommes aux Etats-Unis. Mais même lorsqu’il parle de Dieu et de l’Amérique, son corps demeure impassible. Evangélisme sans transes, ferveur sans hystérie. Etrangement, la réserve d’Obama participe de son charisme. Il est plus près de la religion civile des Pères fondateurs que du télé-évangélisme.

 

Une seule nation

 

Le discours de John McCain était celui des deux nations : les élites alliées aux descendants d’esclaves contre l’Amérique profonde et «authentique» des petits Blancs. Privilège du métissage ? Barack Obama peut se permettre de parler d’une seule nation, même faite de dissonances. Il ne réconciliera sans doute pas le diplômé de Harvard avec Joe le plombier, mais il se refuse au moins à opposer l’Amérique qui se lève tôt à celle des profiteurs du système. Sa position n’est pas très confortable puisqu’il se refuse à parler d’Amérique éternelle comme d’autres parlent d’une «France éternelle». Le discours de victoire de Barack Obama ne promet pas la lune : «Notre route sera longue, nous n’y parviendrons peut-être pas en un an ou même en un siècle.» Même «ensemble», tout ne devient pas possible tout de suite. La politique est de l’ordre d’une tâche : collective, difficile et toujours à reprendre. Même en temps de crise financière, nous ne sommes pas habitués, ici, à ce genre d’humilité.

 

Le conflit, pas la rupture

 

La campagne de Barack Obama n’a connu qu’une entorse sérieuse : lorsqu’un de ses proches, le révérend Wright, a demandé à Dieu de «maudire» l’Amérique. Assumant les contradictions qui font un héritage, le candidat a déclaré : «Je ne peux pas le désavouer, tout comme je ne peux pas désavouer ma grand-mère blanche», malgré ses préjugés raciaux. Ce sera le seul «I cannot» du candidat. Un autre scénario eût été possible, sur le mode «ton pays, tu l’aimes ou tu le quittes». Mais les vrais conflits politiques ne sont pas des alternatives simplistes. Barack Obama suggère que l’on peut être fier de ses appartenances tout en reconnaissant la part indigne de son histoire. Bref, «assumer le poids de notre passé sans en devenir les victimes» (discours de Philadelphie).

On ne sait pas si la politique de Barack Obama sera à la hauteur de sa rhétorique. «Yes we can», c’est aussi un slogan publicitaire. Pourquoi pas ? S’il rappelle que même un président n’agit pas seul et qu’il ne peut rien sans nous.