Yes, he can
L’avenir a changé de camp. Pendant plus de vingt
ans, les conservateurs l’avaient annexé. Ils viennent
de le perdre. On a célébré
la victoire d’un homme qui représente les parias de l’histoire américaine, l’irruption d’un messager du
siècle nouveau, métissé, globalisé,
où l’Occident ne sera plus
au centre du monde.
On a eu cent fois raison. Les larmes du révérend Jesse Jackson, qui voit
le rêve de son modèle,
Martin Luther King, prendre chair sous
ses yeux
embués resteront dans la mémoire de tous les réprouvés. Terre de la
discrimination et de la relégation,
les Etats-Unis ont fait un
grand pas vers la rédemption.
Mais l’élection de Barack Obama
a un autre sens, tout aussi décisif pour notre destin. Depuis les années 1980, les progressistes
de la planète étaient sur la défensive. Les
forces de l’individu et de l’argent avaient confisqué l’idée même de progrès. L’entreprise et la finance, alliées
à la technologie et au libre-échange,
étaient les moteurs d’une révolution qui a bouleversé la planète, changé le travail, transformé les
rapports entre les hommes. L’exubérance
des marchés et l’énergie des égoïsmes individuels ont poussé l’humanité vers l’avant, sans qu’elle sache où
elle allait. Le capitalisme, selon l’axiome de Marx, a révolutionné
la vie. Du coup, les mots de changement,
de réforme, de novation, d’audace et de créativité
étaient passés à droite. Même si
le terme n’a pas le même sens aux Etats-Unis,
même si Barack Obama, un peu comme
les Kennedy, est aussi un politicien éprouvé, centriste à beaucoup d’égards, dur dans la compétition
et habile à la manœuvre, ces
mots viennent de repasser à gauche. Par un vote massif, sans appel, les Américains ont voulu dire que cette société
est trop dure à l’Homme, que l’inégalité n’est pas l’idéal des citoyens de la mondialisation, que la Terre n’est pas un espace infini et indestructible, que les riches doivent perdre, un tant soit peu, leur
arrogance. Les progressistes s’étaient fait voler l’idée de progrès. Ils l’ont récupérée. Quelle leçon pour la gauche européenne, affaiblie, sans véritable projet et, surtout, sans souffle et sans idéal nouveau !
Pour autant,
les Européens auraient
grand tort de projeter sur
le nouvel élu, qu’ils connaissent mal, leur espérance sociale et pacifique.
Citoyen du monde, Barack Obama reste
un Américain. Il approuve la vente
libre des armes, la peine de mort, la primauté de la libre entreprise. Il veut intensifier la guerre en
Afghanistan. Toujours les intérêts
propres de l’Amérique resteront pour lui prioritaires. Les espoirs qu’il a soulevés sont si forts que
la déception sera son ennemie
dès le premier jour. Il faut partager cette
espérance mais aussi l’entourer d’une attente raisonnable.
La magie d’une élection, quels que soient le talent et le sang-froid démontrés par un démocrate d’exception, ne peut dissiper soudain
le malheur des temps.
Ce qu’on peut
espérer ?
Une action volontaire contre la récession, une attention au sort des plus démunis,
une protection meilleure contre les cruautés du marché, une politique
étrangère moins solitaire
et moins dominatrice, un
effort rationnel, patient et audacieux
à la fois, pour que le citoyen arrache enfin à l’économie aveugle la maîtrise de son devenir. Barack Obama n’est
pas le sauveur suprême.
Il peut être
un Roosevelt new-look, qui a l’avantage d’être élu trois mois
et non pas trois ans après
le déclenchement de la grande
crise. La planète attend le
New Deal de ce début de
siècle. Non pas une révolution mais des réformes humaines, cohérentes, efficaces. Bref une utopie
concrète, celle
qui fait tant défaut au vieux continent. L’homme sera-t-il à la hauteur de son destin ? Il
en a en tout cas le talent. Yes, he can…