Vers une alliance Sarkozy-Obama

 

ALAIN DUHAMEL

 

Le prochain président américain se trouvera dans une situation complètement inédite : élu en pleine tempête financière, comme jamais depuis Roosevelt, en 1932, il aura pour la première fois l’Union européenne comme interlocutrice principale, cohérente et résolue, bien décidée à réformer le système financier international. George Bush ne cache pas son peu d’appétit pour la mise sur pied de régulations internationales.

 

La crise financière étant née aux Etats-Unis, étant de surcroît le fruit direct des imprudences et des dérives anglo-saxonnes, il lui est impossible de refuser le principe de plusieurs réunions du G8, élargi à la Chine, à l’Inde, au Brésil, au Mexique, à l’Afrique du Sud et à un Etat arabe, avec pour objectif d’examiner les propositions de réforme et d’en débattre. Refuser ces rencontres aurait signifié de la part du président américain sortant une incapacité spectaculaire à mesurer l’importance de la crise financière qui subsiste et de la crise économique qui émerge. George Bush a déjà réagi lentement et, dans un premier temps, maladroitement au surgissement d’une tempête dont son pays porte la responsabilité principale. Il ne pouvait donc pas dire non à Nicolas Sarkozy, venu au nom des Européens (en compagnie de José Manuel Barroso) lui faire cette proposition. Il a cependant reculé le plus tard possible les dates de ces rencontres et il a fait savoir qu’il considérait toujours que le marché devait s’embarrasser le moins possible de normes et de règles. Comme l’élection de son successeur aura eu lieu plusieurs semaines avant la première rencontre du G8 élargi [sans doute fin novembre, ndlr], George Bush ne jouera heureusement dans l’affaire qu’un rôle protocolaire. C’est son successeur, le président élu, qui devra mener les négociations du côté américain et prendre position sur le fond. Tout fait aujourd’hui penser que ce successeur s’appellera Barack Obama. Sa victoire serait la meilleure chance pour que les réformes aboutissent.

 

Du côté européen, le chef de file des négociateurs sera Nicolas Sarkozy, parce qu’il est le président en exercice du Conseil européen, parce qu’il a su en quelques semaines de crise imposer son autorité et son dynamisme, comme aucun de ses prédécesseurs avant lui, et surtout parce qu’il a pris la tête de ceux qui sont bien décidés à tirer les enseignements de la tempête financière actuelle et à mettre en place des régulations durables.

 

On peut naturellement ironiser sur les conversions miraculeuses (même si Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont au moins le mérite d’avoir appelé conjointement, dès l’automne 2007, à plus de transparence et de contrôle des marchés) ou souligner les contradictions des dérégulateurs subitement tombés amoureux des régulations. C’est de bonne guerre. Reste l’essentiel : les Quinze, puis les Vingt-Sept sont tombés d’accord pour introduire des règles et des normes dans les marchés financiers qui n’en étaient que trop partiellement pourvus. Reste le plus difficile à faire : convaincre leurs partenaires de les suivre sur ce chemin, puisque la partie n’est jouable que si toutes les économies les plus importantes en appliquent les principes en même temps.

 

George Bush n’en veut manifestement pas, mais cela n’a plus d’importance. John McCain serait très vraisemblablement réticent, tant cela correspond peu à son idéologie, mais ses chances de l’emporter maigrissent chaque jour. Barack Obama appartient en revanche à la famille politique qui a parrainé les accords de Bretton Woods en juillet 1944. Devant la violence de la crise financière, il a, à de nombreuses reprises, appelé à une réforme des marchés financiers. Ses principaux conseillers économiques, ses supporters les plus connus - à commencer par Paul Krugman, le nouveau prix Nobel d’économie - sont favorables à la transparence et au contrôle des marchés financiers. Si Barack Obama l’emporte, un axe Europe-Etats-Unis pourrait donc se constituer pour renforcer les règles comptables et prudentielles, combattre les paradis fiscaux, réguler les banques mais aussi les assurances et ces produits dérivés sophistiqués qui ont échappé à toute surveillance et à toute raison, réformer les agences de notations et les fonds propres, accorder au FMI les moyens de jouer enfin un rôle de superviseur des marchés financiers ; bref, remettre sur pied un système raisonnable, stable et contrôlé.

 

Pour cela, une alliance Obama-Sarkozy simplifierait et accélérerait les choses. Cela tombe bien puisque les deux hommes ont envie de travailler ensemble et qu’ils entretiennent l’ambition commune d’apparaître comme les refondateurs du système. L’un et l’autre ont l’ambition de marquer et de réussir. Cette coopération serait idéologiquement impure mais politiquement efficace.