L’Amérique se redécouvre

 

Par Bernard Guetta

 

QUOTIDIEN : mardi 8 janvier 2008

Nettement moins stupide à la Maison Blanche, totalement admirable dans l’Iowa, l’Amérique rebat ses cartes. Menacée de récession, enlisée en Irak et confrontée à une perte de prestige international sans précédent, elle se réinvente, change et innove comme on décide de se faire une nouvelle vie après des années d’errements.

Que la primaire du New Hampshire confirme, aujourd’hui, les caucus de jeudi, et un quadragénaire métis du nom de Barack Hussein Obama - pas vraiment John Smith - aurait de bonnes chances d’incarner, dans un an, la puissance des Etats-Unis.

Hollywood et les séries télévisées l’avaient anticipé depuis longtemps. Il y a des décennies que des Noirs sont à la tête de grandes métropoles et siègent à la Chambre. Condoleezza Rice après Colin Powell, il y a huit ans que la diplomatie américaine est dirigée par des Noirs. Mais un Noir, marié à une Noire, une famille noire à la Maison Blanche, ce serait la seconde émancipation, la vraie, d’anciens esclaves restés en marge de l’Amérique.

Dans cette éclatante réparation, page tournée, honte dépassée, la société américaine puiserait une nouvelle force, une nouvelle et légitime fierté porteuse de cohésion, et le séisme serait plus grand encore sur la scène internationale.

Aujourd’hui honnie aux quatre coins de la planète, l’Amérique renouerait , d’un coup, avec sa grâce perdue, sa capacité à frapper les imaginations, ce mélange de mythes et de réalités qui en avait fait le pays de tous les possibles - la démocratie par excellence que sa force de séduction avait fait tant aimer, malgré la béance de ses failles.

Après les années Bush, ce serait un total renversement d’image, aussi fécond et nécessaire que lorsque l’Amérique était devenue, avec Roosevelt, la locomotive mondiale du welfare state, de la protection sociale, ou s’était identifiée, sous Kennedy, à l’idéalisme d’une jeunesse unie et mobilisée contre la discrimination raciale.

Ce n’est pas joué ?

Non, ça ne l’est pas. Ça ne l’est même pas du tout, mais outre qu’un Etat aussi rural et blanc que l’Iowa a compris l’intérêt de la carte Obama, outre que l’homme qui avait lancé, à propos de l’Irak, «je ne suis pas contre toutes les guerres ; je suis contre les guerres idiotes» n’a pas cessé, ce week-end, de monter dans les sondages, outre que ce fils d’un Kényan «noir comme le charbon» et d’une Américaine «blanche comme le lait» réveille l’hyperpuissance en échec, qui serait-ce si ce n’était pas lui ?

De nouveaux candidats peuvent entrer en lice et bouleverser le jeu, mais mettons que Hillary Clinton reprenne la main, aujourd’hui ou plus tard. Autre révolution, une femme deviendrait alors présidente des Etats-Unis, une enfant de la génération contestataire, une femme de gauche, à l’origine beaucoup plus préoccupée que son mari de réformes sociales malgré tous les efforts qu’elle a faits, depuis, pour conquérir la Maison Blanche en se recentrant. La haine que lui voue l’Amérique conservatrice dit bien que son élection serait tout sauf indifférente, moins détonante que celle d’Obama mais tout aussi prometteuse d’un tournant radical.

Mettons, maintenant, que ce soit John Edwards qui devienne le candidat démocrate. C’est un adversaire du capitalisme sauvage, défenseur des classes moyennes et pourfendeur de la «greediness», de la gloutonnerie de Wall Street qui prendrait, avec lui, les commandes à Washington.

Mettons, enfin, que John McCain remporte l’investiture républicaine puis - qui sait ? - la présidentielle, ce coup de théâtre ferait entrer à la Maison Blanche la plus noble figure de la droite américaine, l’homme qui a tenté de moraliser le financement des campagnes électorales avant de mener bataille et de marquer des points contre le développement de la torture. Quelle que soit l’issue de ces primaires, une renaissance américaine est en gestation, si pressante et incontournable que George Bush lui-même l’a amorcée. Tandis qu’on vote dans le New Hampshire, il s’envole ce soir pour le Proche-Orient, bien décidé à ne pas terminer son mandat sans avoir mis fin au conflit israélo-palestinien.

C’est encore moins joué qu’une victoire d’Obama, mais avant de crier à l’échec programmé il serait temps de mesurer l’ampleur du changement de donne régional. Israël et la direction palestinienne, l’Amérique et les régimes arabes ont désormais non pas un, mais deux ennemis communs : l’islamisme sunnite et l’Iran. Cette réalité est si forte qu’elle a même pénétré l’esprit de George Bush. Ses priorités ont changé. La priorité de l’Amérique est devenue cette paix, la pierre sur laquelle reconstruire son influence.

Bernard Guetta est membre du conseil de surveillance de Libération.