Obama, candidat très
presentable
En
devançant largement Hillary Clinton dans l’Iowa, le sénateur, qui incarne
jeunesse et rupture, confirme ses chances de devenir le premier Noir président
des Etats-Unis.
De
notre correspondante à New York ISABELLE DURIEZ
samedi
5 janvier 2008
Un
petit matin de juillet 2004, à Boston, quand la radio a retransmis le discours
d’un certain Barack Obama, le chauffeur du bus qui conduisait des journalistes
à la convention démocrate, un jeune noir, a commenté tout haut : «Vous entendez
ce gars-là ? Il ira loin.» La veille, les démocrates avaient découvert le
visage juvénile de cet élu de l’Illinois, en campagne pour un siège de sénateur
qu’il décrochera quatre mois plus tard. Visage grave, et en même temps serein,
voix chaude et posée, longues mains hypnotiques. Pour beaucoup, ce n’est que
quand sa femme Michelle, belle Noire en tailleur blanc, est venue l’embrasser
qu’ils ont réalisé qu’il était Noir. Ils étaient fascinés.
Personne
n’aurait pourtant parié sur le fait que cet inconnu s’impose comme le candidat
le plus crédible aux yeux des démocrates, quatre ans plus tard. Trop tôt, trop
jeune, trop inexpérimenté, trop Noir. Barack Obama a tout entendu. Et en a fait
un atout. La veille du caucus en Iowa, il lançait à ses partisans : «Certains
disent : "Obama est peut-être une source d’inspiration, il a peut-être de
bonnes idées, mais il n’a pas été assez testé à Washington. On va le faire
mijoter un peu plus, faire évaporer tout son espoir, pour qu’il parle comme les
autres, et alors il sera prêt…"»
Maintenant
ou jamais. Lui, est persuadé d’une chose, c’est maintenant ou jamais. Maintenant,
parce qu’après huit ans de présidence Bush et de batailles idéologiques
stériles ou de guerres injustifiées, les Américains ont besoin qu’on leur parle
de coalition et qu’on les berce de changement. Maintenant, parce qu’avec
seulement trois ans passés au Sénat, son bilan est encore (presque) vierge de
politique politicienne et ses discours pétris d’idéalisme. Maintenant, parce
qu’à 46 ans, il est le plus jeune des candidats et peut incarner, presque
physiquement, l’arrivée d’une nouvelle génération au pouvoir. «Notre
génération», dit-il aux foules d’étudiants qui viennent le voir en masse.
Maintenant, parce qu’il y croit et que cet espoir est communicatif. S’il a bien
un talent, c’est celui de captiver les foules, de les faire rêver à quelque
chose de meilleur, de leur réchauffer le cœur. Dit comme ça, cela fait très
naïf. Mais jeudi soir encore, après son discours de victoire, les commentaires
sur les sites politiques commençaient ainsi : «Il m’a donné la chair de poule»
ou «J’en avais les larmes aux yeux». Combien d’hommes politiques sont capables
de susciter de telles émotions ? Combien l’ont fait depuis John F. Kennedy ?
«Je
ne devrais pas être là». Quand Barack Obama parle d’espoir à l’Amérique, il
parle de lui-même. De cet enfant que rien ne prédestinait à avoir ne serait-ce
qu’une carrière politique. Né d’une amourette estudiantine entre un père venu
du Kenya et reparti aussitôt son cursus terminé et une mère blanche du Kansas
qui l’a emmené dans ses valises à Djakarta. De ce gamin noir qui sourit sur les
photos entre ses deux grands-parents blancs qui l’ont élevé à Hawaii. De cet
ado qui a touché au shit et à la coke, s’est cherché, et a fini par admettre
que puisque tout le monde le considérait comme un Noir, il était noir.
En
pointant son sigle, le plus original de tous les candidats en lice, un «O» en
forme de soleil qui se lève, il notait récemment devant une foule motivée :
«Nos pancartes ne parlent pas d’Obama, elles parlent d’espoir. Je ne peux que
parler d’espoir parce que je suis là aujourd’hui. Je ne suis pas né privilégié.
Ma mère était une ado. Mon père est parti quand j’avais 2 ans. Elevé par mes
grands-parents. Je ne devrais pas être là. Mais ils m’ont donné de l’amour, une
éducation, et ils m’ont donné de l’espoir.»
Son
éducation, il a eu la chance de la faire à Harvard, en droit, où il a prouvé
qu’un Noir pouvait diriger la prestigieuse Harvard Law Review. De là, il est
entré dans un cabinet d’avocat à Chicago, où il avait travaillé auparavant
comme animateur social dans les quartiers difficiles. Ces derniers jours, pour
convaincre la communauté noire qu’il est l’un des leurs, il a mis l’accent sur
ces années-là, sur son engagement à défendre les victimes de discrimination.
«J’ai laissé passer un emploi à Wall Street pour combattre le chômage et la
pauvreté dans les rues de Chicago, a-t-il plaidé. J’ai refusé de travailler
dans des cabinets d’affaires pour être un avocat des droits civils.» Jusque-là,
la communauté afro-américaine était celle qui avait le plus de mal à se laisser
embobiner par son idéalisme. Elle a un autre vécu. Une histoire imprégnée de
souffrance, de racisme, d’échecs. Elle ne pouvait pas croire que le Blanc
voterait pour un Noir. Dans un message voilé, c’est à elle que le vainqueur
s’est adressé depuis l’Iowa, où 93 % des électeurs sont blancs : «Ils disaient
que ce jour ne viendrait jamais. Que nos objectifs étaient trop élevés. Que ce
pays est trop divisé, trop désenchanté. [Mais] nous sommes une seule et même
nation. Un seul peuple et le temps du changement est arrivé.»
Quand
Hillary Clinton s’est mise à reprendre le thème du changement, il y a quelques
semaines, socle sur lequel Obama a bâti sa campagne, l’équipe de ce dernier a
su que quelque chose était en train de se passer. Celle qui semblait la
«nominée inévitable» ne l’était plus. Elle perdait des points précieux dans les
sondages. Dans la panique, son équipe a lancé des attaques mesquines, accusant
Obama d’être trop ambitieux parce qu’à l’école primaire, il a écrit qu’il
voulait devenir président et insinuant qu’il n’a pas fait que prendre de la
drogue, mais en vendre… Puis, l’ancienne first lady, qui met en avant son
expérience, a inauguré un nouvel argument, en forme de prise de ju-jitsu : «Qui
incarne mieux le changement que quelqu’un qui essaie de changer les choses
depuis trente ans ?» La rhétorique a fait «pschit», comme un pétard mouillé. Et
dans les rares étincelles, ceux qui rêvent de changement ont vu le retour des
Clinton à la Maison Blanche comme un «retour vers le futur». A propositions et
engagements de campagne quasi-identiques, ils ont préféré le candidat qui
promet paix et réconciliation.
Rassembleur.
Obama peut remercier Bush dans ses prières. Sans lui, l’Amérique ne chercherait
pas un réconciliateur, voir même un rédempteur. Un homme capable de rassembler
les hommes et les femmes (un tiers des électrices ont voté pour lui et non pour
elle), les Noirs et les Blancs, les bleus (démocrates) et les rouges
(républicains)… Un homme qui pardonne le pêcher originel de l’esclave et qui
tend à l’Amérique un miroir dans lequel elle se trouve belle, multiraciale et
efficace. Un homme qui soignera la plaie béante de la guerre en Irak et
restaurera l’image de l’Amérique dans le monde. Le danger, quand on incarne un
tel espoir, est de décevoir. «Vous me connaissez, vous savez qui je suis, ce
que je vaux, rappelle Hillary Clinton. Avec moi, pas de surprise.» Voter pour
Obama, c’est voter «sur un coup de dé» a mis en garde Bill Clinton. Les
critiques sur son inexpérience, son idéalisme, sa couleur de peau vont
pleuvoir. Les rêveurs seront appelés à faire preuve de plus de réalisme. Mais
ils préféreront peut-être continuer à croire en ce rêve, que Barack Obama
résume en peu de mots : «Une histoire qui ne peut arriver qu’aux Etats-Unis
d’Amérique.»