Edward Snowden, un homme face au Léviathan

 

Sylvain Besson

 

L’acte de divulgation individuel reste le dernier recours face au cauchemar d’un Big Brother électronique

 

Les services secrets suisses, ridiculisés l’an dernier pour avoir laissé un informaticien leur subtiliser des millions de données, ont de quoi sourire devant la mésaventure qui frappe aujourd’hui leurs homologues américains. En dévoilant le programme de surveillance d’Internet de la NSA, l’agence d’interception électronique, Edward Snowden vient d’éclipser Bradley Manning, le soldat-analyste à l’origine des révélations de WikiLeaks. Les deux hommes ont des points communs: jeunes, idéalistes – Edward Snowden est «libertarien» –, ils semblent avoir découvert avec effarement ce que leur gouvernement s’autorise au nom de la sécurité nationale. La question qu’ils soulèvent est identique: sont-ils des héros ou des traîtres?

 

Dans l’affaire Snowden, les Etats-Unis sont victimes du gonflement de leur appareil de surveillance depuis le 11 septembre 2001. Des dizaines de milliers de spécialistes du renseignement ont été recrutés, les sites secrets se sont multipliés, le cloisonnement qui séparait les services a fait place à la mise en réseau d’informations sensibles – avec un risque de fuite accru en conséquence.

 

Le renseignement a aussi changé de nature. Il n’est plus cantonné à l’acquisition de données ciblées, il collecte automatiquement d’énormes volumes d’informations sur la vie de chacun, à travers Internet et la numérisation des moindres faits et gestes. Le problème de la surveillance de ces activités se pose en termes nouveaux. Les explications de Barack Obama (l’espionnage d’Internet ne concerne pas les Américains, et il est soigneusement contrôlé) ne peuvent rassurer ceux qui vivent hors des Etats-Unis ou qui ignorent comment, au juste, Washington tient en laisse le monstre qu’il a engendré.

 

Heureusement, ce Léviathan a aussi son talon d’Achille: l’individu. Ou plutôt, l’individualiste à la Manning ou à la Snowden qui, selon le mot désabusé d’un spécialiste du renseignement, «se croit autorisé à porter un jugement moral sur la conduite de l’Etat pour lequel il travaille», et qui fait «qu’il y aura de plus en plus d’affaires de ce type». Son existence est, pour l’heure, la meilleure garantie que le cauchemar d’un Big Brother électronique ne se matérialisera pas.