Une décision courageuse et respectable
Francois Modoux
A mesure que les mois passaient, on sentait que la décision de ne pas extrader Roman
Polanski mûrissait. Le verdict que vient de rendre la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf est courageux.
Il choquera une partie de l’opinion publique suisse qui y verra, un peu sommairement,
un traitement de faveur de
la Suisse à un artiste qui s’est pourtant
rendu coupable de faits graves puis s’est soustrait à la justice. Cela relève pourtant
d’une approche étriquée du cas
Polanski. Et c’est un soulagement d’apprendre qu’au plus haut niveau, l’on a reconnu la complexité de l’affaire et la responsabilité de la Suisse dans
la mésaventure survenue au cinéaste.
Si l’Office fédéral de la justice avait été libre
de trancher sans en référer
à la ministre de tutelle,
la décision aurait sans doute été inverse. Analysée sous un angle étroitement
juridique et administratif,
la demande américaine d’extrader Roman Polanski devait être acceptée. Mais considérer une procédure d’extradition
comme une simple question
administrative et juridique est une grossière
erreur. Comme une tribune remarquée de l’ancienne conseillère fédérale Elisabeth Kopp l’a souligné il
y a quelques mois, chaque demande d’extradition est un cas particulier et les autorités politiques suisses ont toujours
une petite marge de manœuvre. Si les procédures d’extradition sont réglées par des traités qui fixent les règles de cette coopération judiciaire, la décision même d’accéder à une demande est un acte de souveraineté mûrement pesé.
Le dossier ne permettait pas d’exclure que la demande d’extradition était affectée d’un vice grave, et que
Roman Polanski avait déjà, en réalité,
purgé la peine à laquelle il avait
été condamné. Le fait que la Suisse n’a pas pu obtenir
de la justice californienne un document sensible
favorable à Roman Polanski conforte ce soupçon. S’ajoute
le fait que la victime du
viol à l’origine de la procédure
contre l’artiste a répété à plusieurs reprises qu’elle lui avait
pardonné et qu’elle ne voulait plus entendre parler de cette histoire vieille de plus de
trente ans. La conseillère fédérale ne pouvait pas y être insensible au moment d’engager
la réflexion sur la demande d’extradition du cinéaste.
Les circonstances
mêmes de l’arrestation de
Roman Polanski ont lourdement
plaidé en sa
faveur. Le cinéaste avait été arrêté
à son arrivée à Zurich alors
même qu’il était invité par la Suisse officielle pour recevoir un prix. C’est un
haut fonctionnaire fédéral,
au nom de la Suisse, qui allait faire son éloge. La confiance de Polanski dans la Suisse a été lourdement trahie par le zèle d’un fonctionnaire qui a lui même signalé aux autorités américaines son arrivée sur sol helvétique. Ceci quand bien même
le cinéaste séjournait régulièrement en Suisse dans un chalet dont il
est propriétaire, sans que personne s’en
inquiète ou s’y oppose. L’Etat de droit helvétique – tous les citoyens sont égaux devant
la loi – a été invoqué à tort pour justifier l’arrestation
de Polanski. Ou alors
comment justifier que ce principe n’ait jamais été
brandi pour déclencher l’arrestation du cinéaste lors de ses fréquents
séjours à Gstaad?
Eveline Widmer-Schlumpf a finalement pu
se convaincre que la Suisse
ne prenait pas grand risque
à opposer son veto à la demande
américaine. Le refus d’extrader Polanski n’est pas un camouflet infligé à Washington, mais bien à la justice californienne et aux magistrats
qui, pour muscler leur campagne électorale en vue de postes en vue, ont cherché
par tous les moyens à instrumentaliser la cause Polanski après qu’un fonctionnaire suisse leur en a offert la possibilité sur un plateau. Le gouvernement américain a pu
se féliciter à juste titre de la remarquable coopération de la Suisse lorsqu’il
s’est agi d’accueillir deux ex-détenus de Guantanamo, tous deux ouïgours. Les
pressions inamicales de la
Chine n’ont pas fait vaciller
le soutien helvétique à l’administration Obama. Dans
cette partie délicate, la Suisse a apporté la preuve de sa
fiabilité. Washington n’en voudra pas à Berne de lui épargner l’arrivée
sur sol américain de Roman
Polanski, les poignets menottés.