Un «manque de
finesse» dit Micheline Calmy-Rey
Par
Valentine Zubler, Berne
Le malaise que suscite l’arrestation
du cinéaste s’étend. Pointant une marge
de manoeuvre restreinte, la
ministre des Affaires étrangères
n’a pas caché son embarras. Roman Polanski s’oppose
quant à lui à son extradition
Le malaise que suscite l’arrestation
de Roman Polanski, samedi soir
à l’aéroport de Zurich, continue de s’étendre. Hier, à l’occasion de son Club de la presse
diplomatique, Micheline Calmy-Rey n’a pas caché son embarras sur l’affaire, envoyant au passage une pique à l’adresse de la police fédérale
et donc par ricochet à celle
d’Eveline Widmer-Schlumpf. «Sur
le plan légal, la procédure
ne soulève aucun doute. Mais on peut peut-être se poser des
questions sur la finesse de l’intervention»,
a souligné la ministre des
Affaires étrangères, interrogée
sur l’opportunité d’arrêter le cinéaste alors qu’un festival s’apprêtait précisément à le célébrer.
Précisant que le Département
fédéral des Affaires étrangères
(DFAE) n’avait pas été informé au préalable de cette intervention, Micheline Calmy-Rey a toutefois souligné la faible marge de manœuvre de la Suisse. «La voie est tout de même étroite, car on ne peut pas traiter différemment les gens connus et ceux qui ne le sont pas. Cela, en Suisse, on ne l’accepte pas», a souligné la ministre, estimant que le pays «peut en être fier». Enfin,
réagissant «aux liens faits
par certains» entre les affaires Polanski et UBS, Micheline Calmy-Rey a vivement rejeté ces allégations: «Nous ne sommes pas à la botte des Etats-Unis.»
Informer
la France?
Quelles auraient été les chances de persuader les Etats-Unis
qu’une arrestation n’était pas opportune pour l’image
de la Suisse? Berne aurait-elle dû
prévenir les autorités françaises? Le chef de la Direction du droit
international public, l’ambassadeur Paul Seger, a lui aussi
insisté sur la nécessité pour la Suisse de respecter ses
engagements. «Nous avons analysé
l’accord conclu avec les Etats-Unis, a-t-il expliqué. Si une demande est déposée
en bonne et due forme, la
Suisse n’a pas d’autre choix que de s’exécuter.
Sinon, nous violons nos obligations internationales.» Selon Paul Seger,
le fait qu’il s’agisse «d’une affaire entre la Suisse et les Etats-Unis»
rendait «juridiquement
impossible un avertissement à la France».
Alors que le Conseil
fédéral discutera ce matin, lors
de sa séance hebdomadaire,
des circonstances de cette
affaire, une question se pose:
comment la machine ayant conduit à l’arrestation de Roman Polanski s’est-elle
enclenchée? La presse alémanique n’exclut pas que les premiers signaux aient été
envoyés de Suisse vers les Etats-Unis. Le chef de l’Office fédéral de la Justice, Michael Leupold,
confirme qu’une police cantonale avait rendu les autorités fédérales attentives à l’arrivée de Roman Polanski, avant
que les Etats-Unis ne déposent leur demande.
Pour le porte-parole
du Département fédéral de
justice et police (DFJP), Guido Balmer,
il n’est pas impossible qu’un policier zurichois – constatant qu’un mandat d’arrêt
concernant Roman Polanski figurait
dans le système de recherches informatisées Ripol – ait prévenu
les autorités américaines
de la venue du cinéaste. «Cela
étant, précise Guido Balmer, ce sont
en fin de compte les autorités
américaines qui nous ont transmis les informations décisives concernant l’arrivée de Roman Polanski.» A
savoir: l’heure d’atterrissage
du vol en provenance de Vienne emprunté
par le cinéaste.
Reste que, de leur
côté, les autorités américaines soulignent qu’elles n’ont pas attendu d’être informées par la
Suisse de la venue de Roman Polanski à Zurich. Sandi Gibbons, porte-parole du procureur de la Cour du comté de Los Angeles, a expliqué à des journalistes: «Ce n’était pas un grand secret qu’il allait se rendre à Zurich. Ils (les organisateurs du festival, ndlr) l’avaient annoncé sur Internet.»
Recours déposé
La suite? Comme
l’avait annoncé Hervé Temime, son avocat à Paris, Roman Polanski a déposé
hier un recours contre le mandat d’arrêt aux fins d’extradition délivré par l’Office fédéral de la justice. La Cour
des plaintes du Tribunal pénal
fédéral précise qu’«une décision
sera rendue au cours de ces prochaines semaines» (Lire ci-dessous).
A noter,
enfin, que la Suisse a reçu le soutien du vice-président de l’Assemblée nationale française. L’UMP Marc Laffineur s’est dit «surpris»,
selon les agences, des déclarations «un peu rapides» des ministres Frédéric Mitterrand et Bernard Kouchner
sur l’arrestation du cinéaste en Suisse. «Les accusations de viol sur un enfant de 13 ans, ce n’est pas quelque
chose d’anodin, quelle que soit la personne
qui est soupçonnée d’avoir fait cela.»