Errances du bien

 

Par François Gross

 

Exemplaire? Certainement. Edifiant? Aucunement. La publication par la Maison-Blanche de quatre mémos constituant un manuel de torture «légale» n’a guère de précédents. Le voile est ainsi levé sur ce qui n’était plus un mystère pour un grand nombre de partenaires des USA, étatiques ou non gouvernementaux.

 

C’est un remarquable acte de courage civique et, aussi, une prise de risques d’envergure. Celle-ci n’a cependant pas entravé cet écœurant déballage. Des juristesmais oui, des juristes! – ont catalogué les traitements humiliants, en ont balisé les pratiques. Ils ont rendu les tourmenteurs de la CIA attentifs à des limites à ne pas franchir. Tout cela pour le triomphe du Bien sur le Mal, un «conflit armé mondial» le 11 septembre 2001 dans les décombres encore fumants des tours new-yorkaises du World Trade Center.

 

Comme le furent les historiens qui dépouillèrent les archives du Troisième Reich, le lecteur de ces textes administratifs est sidéré par leur minutie. De hauts fonctionnaires du Ministère de la justice, des hommes et des femmes instruits dans la science juridique, ont examiné jusqu’au plus menu détail les procédés des inquisiteurs. Pour leur donner un blanc-seing. Sans souiller leurs mains dans les besognes subalternes, ces casuistes méticuleux ont déchargé la conscience des tortionnaires: «Allez-y! Vous contribuez à la défense de la civilisation occidentaleAucun trouble n’a effleuré un président confit dans la momerie ni son très cynique vice-président et moins encore ses ministres de la Défense et de la Justice. Ils étaient et restent convaincus que la fin sanctifie les moyens, qu’il faut écraser tout scrupule et anéantir les infâmes terroristes et leurs comparses. Les alliés de ces croisés dignes de leurs ancêtres ont gardé le silence. Les obligés des maîtres du monde ont encagé sur leur sol des détenus délocalisés. Ici même, dans cet Etat se targuant d’être démocratique et se réclamant d’une séculaire tradition humanitaire des bandeaux ont été appliqués sur les yeux des contrôleurs aériens quand des avions de la CIA et leurs «colis» survolaient le territoire helvétique et y faisaient de furtives escales. Une ministre, à cheval sur les droits humains comme fillette sur son canasson balançoire, était soudain frappée de surdité tenace quand un trublion radical et tessinois dénonçait sur le ton d’une courtoise rigueur ces entorses aux lois. La transparence voulue par Barack Obama se heurte à l’incompréhension des adeptes du secret et du mensonge en politique.

 

Les exactions des uns ne blanchissent pas les crimes des autres. Elles alimentent leur violence meurtrière et servent de prétexte aux discours haineux. L’aveu de calamiteux dérapages provoqués par une tuerie de masse est une étape. Si elle était suivie de la mise en accusation de leurs instigateurs, la preuve serait administrée d’une justice ne se dérobant pas devant les puissants.

 

Ne nous leurrons pas! G.W. ne sera pas inquiété. Pas plus que Vladimir Poutine.