Inquiétude médiatique à Moscou
Kiosque: la presse russe s'interroge sur la rapide reconnaissance des
provinces séparatistes de Géorgie.
Alexandre Billette,
Moscou
Jeudi 28 août 2008
Si le Kremlin est droit
dans ses bottes, la presse russe, elle, est
tourmentée au lendemain de
la reconnaissance officielle par la Russie de l'indépendance des deux républiques séparatistes de Géorgie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.
• Premier facteur d'inquiétude: les conséquences économiques de la dégradation des relations avec les partenaires
occidentaux de Moscou. «Devinez quelles
seront désormais les priorités du pays», demande Vedomosti. «Transformer Moscou
en un centre international des affaires, ou moderniser l'armée
avec du matériel sophistiqué?
Va-t-on vers la modernisation du pays ou la mobilisation?» s'interroge
le quotidien, qui rappelle que la bourse de Moscou a perdu plus de 5% de sa valeur dès l'annonce
de Dmitri Medvedev.
• Vremia
Novostieï se penche pour sa part sur l'isolement
international que risque de
connaître la Russie: «Le
Kremlin n'a pas beaucoup d'illusions
sur les pays qui vont reconnaître, eux aussi, l'indépendance des deux républiques.» Le journal rappelle que, «pour le moment, seul le
leader du Parti des régions
(pro-russe) ukrainien, le président (pro-Kremlin) tchétchène,
Ramzan Kadyrov, et le représentant du Hamas islamique à
Moscou ont publiquement exprimé leur soutien à Moscou dans cette
affaire».
• Mais
par-dessus tout, les journaux
russes craignent l'effet domino d'une telle décision du Kremlin. «Le président russe est prêt à affronter l'Occident»,
titre Kommersant, qui rappelle
que, «pour la première fois
de son histoire, la Russie a préféré
favoriser le principe
de droit à l'autodétermination
des peuples, plutôt que celui de l'intégrité
territoriale. Même pour des entités «amies»,
comme la Krajina serbe de Croatie [au début des années 1990, lors de l'éclatement de la Yougoslavie)],
la Russie n'a jamais reconnu de républiques autoproclamées.
Et c'est justement
sur la base de ces
positions que Moscou a toujours refusé de reconnaître l'indépendance du
Kosovo», rappelle le journal.
• Vremia
Novostieï revient également sur cet enjeu. En affirmant que si
le Kosovo pouvait être indépendant, alors les républiques autoproclamées du Caucase pouvaient l'être aussi, Moscou
pourrait avoir créé un précédent
qui embrase l'ensemble de
la région. Le quotidien évoque «une possible aggravation
du conflit du Nagorny-Karabagh
[la région séparatiste de l'Azerbaïdjan, soutenue par l'Arménie]», voire
une escalade de conflits régionaux dans un Caucase pourtant vital pour le
transport des ressources énergétiques
de la mer Caspienne.
• Mais
maintenant que Dmitri
Medvedev a reconnu l'indépendance
des deux territoires, «que faire ensuite?» demande l'éditorialiste
Viktor Bountman, de la RadioEchos
de Moscou, sur son blog. «Nous
avons maintenant deux options: soit nous maintenons cette «indépendance» factice de Tskhinvali
et de Soukhoumi, ou alors nous annexons les deux Etats au sein
de la Fédération de Russie.» «La première hypothèse est probablement
la plus intéressante au niveau
économique», estime le chroniqueur, «puisque «l'indépendance» de ces deux entités permet
à l'économie grise de se maintenir en bonne place», une situation ambiguë très profitable aux trafics en
tout genre.
• Il faut
se tourner vers les
publications favorables au Kremlin pour
voir un peu d'optimisme. La Rossiiskaïa Gazeta donne
la parole, comme à son habitude, à des experts ou des députés pour analyser les enjeux de la déclaration de Medvedev. L'Occident ne peut
pas faire grand-chose contre Moscou,
estime en substance Boris Makarenko,
du Centre des technologies politiques. «Les capitales occidentales ont peur de la guerre, et elles ont besoin
de la Russie, notamment en
Afghanistan, où l'OTAN est dans une
situation déplorable et où
la Russie fait office de pays de transit pour l'acheminement de matériel.»
• Enfin,
les Izvestia estiment également que «les conséquences négatives étaient prévues». Mais «ni les menaces ni l'isolement ne font sens, puisqu'il est difficile de dire qui a besoin le plus de l'autre» entre l'Occident et la Russie, dans une
économie mondialisée. Le quotidien s'inquiète cependant de l'absence de
reconnaissance internationale
des deux républiques séparatistes, en dehors de la Russie. «Sans soutien
international, l'indépendance des républiques
ne pourra pas être achevée», conclut-il.