Les décapitations, le piège sournois des djihadistes
Baudouin Loos
Mis en ligne lundi 15 septembre 2014
La troisième scène de décapitation d’otages occidentaux, celle du Britannique David Haines, inspire les mêmes sentiments de dégoût, d’indignation, de colère et de frustration envers les bourreaux du soi-disant « Etat islamique ».
Il convient pourtant de tenter de mesurer les motivations de ces derniers. D’évidence, leur « stratégie », puisqu’ils n’agissent pas ainsi sans raisons, ne peut être que d’attirer les Occidentaux dans un piège qui se refermerait ensuite sur eux : provoquer une intervention occidentale la plus massive possible, à l’aune de notre désir de vengeance spontanément induit par les ignobles assassinats filmés puis envoyés sur les réseaux sociaux.
Plus les réactions occidentales seront massives et brutales, plus ces djihadistes de l’Enfer pensent alimenter à travers le monde musulman sunnite un puissant sentiment de « deux poids deux mesures » puisque, il est vrai, la communauté internationale assiste en même temps depuis trois ans avec passivité au martyre de tout un peuple : la majorité sunnite syrienne. Et ils comptent bien exploiter – pour recruter et convaincre – un tel sentiment d’injustice.
Il existe depuis près de deux ans quatre camps qui se déchirent les lambeaux de Syrie : le régime, les rebelles, les Kurdes et les djihadistes. L’alliance objective qui prévalait entre le premier et les derniers a volé en éclats quand les djihadistes, se sentant en position de force, ont commencé en juin leurs conquêtes en Irak (dont beaucoup provenaient), où le gouvernement central, pro-chiite de manière caricaturale, avait créé les conditions de leur succès en terres sunnites.
Dans le champ de bataille syrien, les rebelles sont le seul camp en danger de disparition rapide. Leur cruelle désunion et l’absence de soutien extérieur suffisant vont bientôt les exposer à un terrible choix entre la reddition, la mort ou l’exil. Sauf si, enfin, ils reçoivent une aide militaire concrète et importante.
L’erreur à ne pas commettre en Occident serait de considérer que Bachar el-Assad, à Damas, constitue en fin de compte un « moindre mal ». La majorité sunnite de Syrie accueillerait cette volte-face avec consternation, elle qui subit ce régime basé sur la torture depuis quarante ans. Et, comme l’écrit sur politico.com l’expert belge Thomas Pierret, ces sunnites se demanderaient pourquoi des décapitations précipitent une intervention contrairement aux atrocités bien plus nombreuses d’el-Assad.
Les exactions infâmes de « l’Etat islamique » ne peuvent rester sans réponse, et celle-ci n’a sûrement pas lieu d’être inspirée par la moindre faiblesse envers ces bourreaux sans scrupules. Mais, sauf à tomber dans leur piège, il faut que les cibles soient attentivement choisies, sans oublier qu’à Damas le régime impitoyable des el-Assad ricane d’une donne qui joue en sa faveur.