La Chine à l'épreuve du rêve américain
Par Dominique MoÏsi
12/11
Au lendemain des élections américaines, une leçon l'emporte sur toutes les autres. Les Etats-Unis font toujours rêver. Leur centralité stratégique et, plus encore, économique peut ne plus être ce qu'elle était. Mais leur centralité émotionnelle demeure unique. Au cours de la semaine écoulée, le monde a assisté à deux victoires : celle de Barack Obama sur Mitt Romney et celle des principes démocratiques portés par l'Amérique sur la non-démocratie chinoise. En quelques phrases, l'espace d'un instant magique, Barack Obama a célébré le « mystère de la démocratie » de la manière la plus concrète, mais de façon presque religieuse. En faisant référence dans son discours de victoire à cette multitude de citoyens américains anonymes - qui faisaient du porte-à-porte à la recherche de votes pour leurs camps, en dépit des obstacles placés devant eux par les institutions ou la nature -, il décrivait de la manière la plus directe la noblesse de la démocratie. Des hommes et des femmes qui peuvent librement se mobiliser et s'exprimer pour changer le cours de leur destin. Le « soft power » de l'Amérique a remporté en cette soirée une victoire par KO sur le pouvoir chinois.
Certes, l'Amérique n'est plus ce qu'elle était. Elle n'est plus comme hier une forme ultime d'assurance-vie pour ses alliés. Mais, si son pouvoir de protection a considérablement diminué, de manière inversement proportionnelle à la hauteur de ses dettes serait-on tenté de dire, la puissance d'inspiration des Etats-Unis reste unique. La victoire incontestée de Barack Obama n'est pas seulement celle de la démocratie, elle est celle d'une certaine vision de l'Amérique. En maintenant une politique d'immigration ouverte, en tenant un discours positif et respectueux à l'égard de toutes celles et de tous ceux qui veulent vivre librement leur différence, en considérant les femmes avec un regard moderne et digne, Barack Obama a su utiliser à son avantage un exceptionnalisme américain qui, comme le rappelle l'historien britannique enseignant aux Etats-Unis Simon Schama, tient avant tout en un mot, celui de diversité. En ignorant cette diversité le Parti républicain s'est condamné à l'échec. Il s'est placé délibérément en dehors de l'histoire. Il y a dans sa défaite, qui est plus encore celle du parti lui-même que de son candidat, qui n'a pas démérité, une leçon universelle pour les démocraties. On ignore le changement à ses dépens et, plus encore, on ne gagne rien en cultivant les extrêmes ou en étant leur prisonnier. On court le risque d'y perdre non seulement son âme, mais les élections.
La grandeur de la démocratie à l'américaine ne saurait faire oublier ses limites et ses blocages. Pour avoir le même président, la même majorité à la Chambre des représentants et au Sénat, n'est ce pas un peu cher ? L'excès d'argent est un cancer qui ronge de l'intérieur le processus démocratique. La mobilisation des énergies est une chose, l'escalade des budgets de campagne en est une autre. Par ailleurs la « vetocratie » continue de hanter une Amérique qui flirtera avec les précipices tant qu'elle n'aura pas mis un peu d'ordre dans ses mécanismes décisionnels. Trop de démocratie nuit à la démocratie.
Mais, à travers la réélection d'Obama, les Etats-Unis viennent d'envoyer au monde un message d'espoir. Pour que ce message ne reste pas lettre morte, pour qu'il n'y ait pas comme hier un fossé entre le discours et la réalité, l'Amérique doit se concentrer efficacement sur elle-même, affronter le problème de ses déficits abyssaux et accepter qu'elle ne saurait se contenter d'infrastructures qui évoquent celles du tiers-monde.
Les Etats-Unis ne sont plus l'acteur qu'ils était sur la scène internationale. Ils doivent accepter la réalité chinoise, apprendre à vivre et à traiter d'égal à égal un pays qui demeure plus que jamais « une énigme enveloppée d'un mystère ». Il s'agit là d'un défi culturellement difficile pour une Amérique qui n'a jamais connu les subtilités de l'équilibre des puissances à l'européenne. Mais le défi auquel se trouve confrontée la Chine est d'une tout autre ampleur. L'Amérique doit vivre avec la réalité chinoise. La Chine doit se réformer, avec sur Internet l'ombre portée du rêve américain. En 1989, les étudiants chinois étaient descendus en masse sur la place Tienanmen, derrière une réplique de la Statue de la Liberté. Aujourd'hui ce n'est pas la force de l'Amérique qui constitue une menace pour la Chine, c'est celle du rêve américain.
Dominique Moïsi, professeur au King's
College de Londres, est conseiller spécial à l'Ifri