Un milliard d'amis
en Bourse
PAR PHILIPPE ESCANDE
C'est une histoire improbable, comme il
ne s'en passe
qu'aux Etats-Unis. Celle d'un gamin de vingt ans qui crée son entreprise par défi en 2004 et se retrouve huit
ans plus tard patron d'une entreprise valorisée cent milliards de dollars. Cent milliards, c'est autant que
McDonald's et deux fois et demie General Motors.
Tout ça pour une blague de potache qui n'emploie pas plus de 3.000 personnes.
C'est la magie de la finance américaine si peu
en cour en ce
moment. A tous ceux qui pensent que la Bourse ne sert qu'à
abriter des spéculateurs affamés qui s'enrichissent en
dormant par des allers-retours éclair sur de pauvres valeurs cotées, l'histoire Facebook vient rappeler les deux fondamentaux de l'investissement financier : le long terme et le risque. Le long terme, car la valeur prêtée à Facebook, dont les profits sont minimes et le chiffre
d'affaires encore modeste, est une anticipation de ses performances futures. C'est l'idée que cette
entreprise, qui a quadruplé
ses revenus
en deux ans, peut devenir en une décennie un géant de plusieurs dizaines de milliards. Exactement
le pari qu'ont tenu pendant plus de dix
ans les actionnaires d'Amazon, inquiets de la faiblesse de ses résultats mais fascinés par l'explosion de ses ventes. Elles
tutoient aujourd'hui les 50
milliards de dollars. Pour Facebook, comme pour
Amazon ou Google, la croissance
semble sans limite.
Mais 100 milliards, c'est aussi le prix du risque. Pour un
Google, combien d'AOL, de
Yahoo!, de Netscape, d'Altavista, tombés
au champ d'honneur de cette
grande foire aux illusions que peut être
Internet ? Avant Facebook, Myspace avait trompé
son monde, acheté 500 millions, revendu
30.
Pourtant Facebook est
d'ores et déjà hors normes,
et pas seulement parce que l'histoire de son fondateur est devenue
un succès à Hollywood. Comme
Google, Facebook n'a pas été
le premier de son domaine, mais
il a été
le premier à en maîtriser les règles.
La première est déjà de privilégier le long terme sur le court. D'étendre au
maximum son réseau avant d'en tirer de l'argent.
Cette année, 1 milliard d'humains devraient être utilisateurs du réseau. Il est
devenu le premier site consulté
sur la planète et, surtout, le premier média du XXI
e siècle. On s'y informe,
on partage ses
photos de voyage, on s'entretient avec le cousin des
antipodes, on se donne rendez-vous
pour dans une heure. C'est tout
un monde, y compris d'entreprises
satellites, qu'emporte Facebook dans
ses valises, dont certaines, comme Zynga, sont déjà en Bourse. C'est cela qu'achète
Wall Street, le pouvoir donné
à un inconnu de changer le monde.