Le Monde Selon Poutine
par K. Selim
La géopolitique
et le jeu - contradictoire
- des puissances existent ; il n'est que
de doux rêveurs pour croire que les Etats agissent pour le bonheur universel. La Russie, si fortement
décriée, a sa
propre rationalité politique. Elle ne se drape pas d'idéaux à géométrie variable que l'on défend
pour l'Iran mais qu'on ignore pour l'Arabie Saoudite et le Bahreïn,
pourtant tout proches.
Dans
le long texte de Vladimir Poutine
définissant la politique étrangère de la Russie, une autre vision s'affiche.
Plus «classique», ancrée sur le respect des règles du droit international qui, de l'Irak
à la Libye, sont remises en
cause par les stratégies occidentales.
Certains pourraient souligner que c'est
un homme du KGB qui parle et cela n'est
pas faux. A condition de ne pas oublier
non plus que dans l'autre camp, les services aussi «parlent» et de manière autrement plus efficace et bien plus retorse.
Pourtant, il
n'est pas nécessaire d'être
policier pour constater qu'Internet, les téléphones
portables et les réseaux sont,
tout comme la télévision,
«un instrument effectif de politique
extérieure et intérieure». Ceux qui, sans nourrir la moindre sympathie pour la dictature criminelle de Bachar Al-Assad, regardent Al-Jazeera, peuvent juger à quel point d'ineptie peut aller la propagande. C'est que le mouvement
des sociétés dans le monde arabe n'a pas subitement
transformé la réalité du
monde ni l'ordre
géopolitique.
Les Occidentaux
ne sont pas devenus subitement les chantres de l'humanisme dans notre aire,
ils défendent
des positions et tentent d'en
gagner d'autres. Cyniquement, en fonction de leurs seuls intérêts. La
question des libertés et des
droits, prétexte cosmétique, est totalement secondaire. Vladimir Poutine l'exprime
clairement, la Russie a des
intérêts à défendre.
Et si elle
a été roulée dans la farine en Libye, elle n'entend
plus l'être en Syrie ou ailleurs. C'est bien
le statut de puissance respectée
que Poutine défend davantage en nationaliste qu'en «anti-impérialiste».
Les pays occidentaux,
avec une utilisation magistrale de la propagande en
plus, font la même chose sur
un mode bien plus agressif, conforme à leurs traditions. La seule différence est
que la Russie n'invoque pas les droits de l'homme. Elle se contente de la vieille règle du droit international – encore en vigueur
– de la souveraineté des Etats.
Poutine constate que les entreprises russes sont exclues
dans des pays comme l'Irak et la Libye,
et, selon lui, les droits de l'homme sont instrumentalisés par «un intérêt pour une restructuration des marchés». On peut ne pas apprécier
le monde tel que décrit par Vladimir Poutine, il est difficile cependant d'en nier la réalité.
Le reste n'est
que constructions subjectives.
Certains analystes ont parlé, à la faveur du veto russo-chinois, d'un retour à la
guerre froide. Vue de la «Maison Russie» - pour utiliser le titre d'un roman de John Le Carré
-, cette guerre froide est alimentée par l'expansionnisme de l'Otan, doublé de la volonté de limiter
le poids de la Russie dans les relations internationales.
Tout en saluant la Chine dont
«la voix dans le monde prend vraiment de l'importance», Poutine, gardien de la Maison Russie, proclame qu'elle n'entend pas être subordonnée et ne laissera
pas ses parts de marché
international à d'autres. Finalement,
et c'est dans
le style de l'homme, le texte
de Poutine restitue le
monde dans sa rudesse.
Pour autant,
cela ne signifie
nullement que ceux qui luttent pour la liberté et la démocratie
dans le monde arabe doivent renoncer à leur combat. Cette réalité brutale du monde incite surtout à se battre en connaissance de cause, lucidement,
loin de toute illusion ou
naïveté.