Trois Leçons De La
Liquidation D'un Dictateur
par K. Selim
Mouammar El-Kadhafi, ci-devant guide de la défunte
Jamahiriya, est mort comme il a vécu,
entre farce et tragédie. Le
convoi qui fuyait la ville de Syrte a été attaqué par des hélicoptères français appuyés par un ou
plusieurs drones américains
: les «révolutionnaires» n'ont
eu qu'à capturer un homme blessé et, après quelques traitements indignes, l'ont abattu comme un chien. Peu de monde regrettera un tyran
à moitié fou, dont les rares accomplissements sont très largement oblitérés par la violence, l'étouffement
absolu des libertés et une corruption sans bornes.
Par ce dénouement prévisible,
le peuple libyen a été privé du procès
de son despote. Mais pouvait-il en aller
autrement ? Personne
en Europe, où Kadhafi avait financé nombre
de campagnes électorales de
dirigeants de premier plan, ni
dans le «nouveau» régime dirigé
par le Conseil national de transition, formé d'hommes issus du premier cercle du pouvoir kadhafien, n'avait intérêt à offrir une ultime
tribune au dictateur déchu
et à des révélations embarrassantes.
Il aurait
été néanmoins plus décent de la part des démocraties
occidentales de ne pas se féliciter de la mort de cet homme au nom des principes de droit dont elles
se targuent d'être les suprêmes
dépositaires. Tout criminel
a droit à un procès et la règle de droit est, en principe,
opposable à tous, sans exception. Il
semble bien cependant que les méthodes de G.W. Bush et de ses comparses néoconservateurs
aient pris le pas sur toute autre
considération éthique ou juridique. La loi du Pecos est
à présent celle que revendique ouvertement la Civilisation. Cela est
d'autant plus évident qu'au fil des infos,
on apprend qu'il s'est passé plus d'une heure entre la capture de Kadhafi, blessé mais bien vivant, et l'annonce de sa mort. Malgré l'hystérie de «combattants» qu'on a vu le plus souvent tirer en l'air au cours d'une guerre habilement télévisée, on peut valablement se poser la question de savoir si l'exécution de Kadhafi n'a pas été ordonnée par les chefs du CNT après, évidemment,
consultation de leurs chefs de l'OTAN.
Le summum
de l'indécence a été atteint - faudrait-il
s'en étonner ? – par le prix Nobel de la paix
Obama. Le président des Etats-Unis,
dont la crédibilité se réduit comme peau
de chagrin au rythme des volte-face, qui se félicite de cette mort en déclarant qu'il s'agit d'un avertissement pour tous les régimes «à poigne». Il aurait fallu
préciser les régimes «à poigne
qui ne sont pas nos amis». Les autres, on les entretient.
Car, de quels régimes l'évanescent locataire de la Maison-Blanche parle-t-il ?
Du Bahreïn qui vient de recevoir un peu plus de 50
millions de dollars d'armements américains,
de l'Arabie Saoudite obscurantiste et moyenâgeuse, du Cameroun où Paul Biya vient de gagner
des élections qui font sourire
toute la planète sauf Paris ?
La première leçon qui mérite d'être méditée est que
l'exécrable régime de Kadhafi
a tout de même résisté près de huit mois
à une offensive de forces très
largement supérieures. Ce qui tend à démontrer que le despote n'était pas aussi isolé qu'on a bien
voulu le dire et que, par conséquent, l'immédiat après-Kadhafi sera très probablement une période d'incertitudes.
La seconde leçon, à l'intention de la Russie et de la
Chine, membres permanents du Conseil
de sécurité, est que les mandats donnés à l'Occident au nom de l'ingérence humanitaire ont des interprétations très élastiques. La troisième leçon, valable pour tous, est que
des populations sont prêtes
à s'allier avec le diable plutôt que de vivre sous la férule de régimes liberticides et que nombre de pays, fragilisés par leurs déficits démocratiques, peuvent être les cibles faciles de toutes les manœuvres de redéploiement impérial.