Profondément hypocrite
par K. Selim
La libération
du Libyen Abdelbaset Ali
Mohamed Al-Megrahi et l'accueil triomphal et sans
surprise que les autorités libyennes lui ont
réservé suscite des réactions d'une incroyable hypocrisie dans les pays occidentaux. Al-Megrahi a bien été jugé coupable
par un tribunal écossais sur la base d'un dossier largement
confectionné par les services spéciaux
occidentaux. Personne n'est cependant
en mesure d'affirmer que justice a bien été rendue. Le concerné, qui n'aurait
plus que trois mois à vivre, affirme le
contraire. Ce qui devait
être un épilogue,
insatisfaisant pour toutes
les parties, donne lieu, côté
occidental, à des expressions variées de mauvaise foi.
Tripoli aurait
dû être discrète
et éviter toute publicité autour du retour au pays de cet homme des services spéciaux. Mais cela est dit après coup, pour
absorber les commentaires acides
de la presse. Les régimes occidentaux connaissent parfaitement le régime libyen.
Ils savaient qu'il ferait un usage médiatique intense du retour au pays de celui
qui, en assumant une peine qu'il juge
injuste, a permis à la Libye de sortir de l'état de bannissement international
dans lequel elle était confinée.
Tripoli, il ne faut pas l'oublier, a cédé sur pratiquement tout : elle a signé
sa reddition et a livré des secrets qui ont mis le père de la bombe atomique pakistanais dans de mauvais draps. Personne ne pouvait s'attendre dès lors à ce qu'elle ne compense pas ces concessions en accueillant Al-Megrahi en héros et en présentant son retour
comme une «victoire». C'est dans l'ordre des choses et, pourrait-on
dire, cela fait partie de
la transaction. «Business as usual».
Que cette transaction ne soit pas du goût de la presse occidentale et des familles des victimes de l'attentat de Lockerbie, cela est très compréhensible.
Ce qui ne l'est beaucoup moins, ce
sont les envolées faussement outrées des officiels occidentaux. Comme si le colonel Kadhafi leur a joué un vilain
tour en accueillant avec exubérance
Abdelbaset Al-Megrahi. «Profondément troublant, profondément affligeant», se lamente le ministre des Affaires étrangères britannique, David Miliband, «scandaleux et dégoûtant», se prend-on à surenchérir du côté de la Maison-Blanche.
On a envie de paraphraser M. Miliband : tout cela est
profondément hypocrite et profondément
insincère. Quelqu'un
ignore-t-il en Europe la manière
dont le colonel Kadhafi utilise les médias et ménage ses effets ? Le colonel, qui est
très courtisé par les marchands en tout genre, a fait des visites
dans plusieurs capitales occidentales et a montré qu'il savait
y faire avec les médias aussi
bien qu'un Blair ou un Sarkozy. Ces responsables britanniques, qui ont soldé l'affaire
Al-Megrahi dans des contrats bien juteux,
ne s'attendaient pas à ce que la Libye, qui n'a jamais admis
la culpabilité de son homme,
l'accueille honteusement,
en coupable.
Si l'on considère que le système libyen s'appuie fortement sur ses
services de sécurité, il ne
pouvait rater l'occasion de
rendre hommage à un agent
qui a accepté que son pays
le livre à la justice écossaise.
Il n'y a rien
d'illogique dans l'attitude de la Libye, elle est d'une
cohérence totale.
«Dans
tous les contrats commerciaux, de pétrole et de gaz avec la Grande-Bretagne, M. Megrahi
était toujours sur la table des négociations». C'est Seïf Al-Islam, fils du colonel Kadhafi, qui le dit et il
n'y a aucune raison de ne
pas le croire. Tripoli a bien
respecté ses
contrats. Ce sont les responsables
occidentaux, gênés par les commentaires de leur presse, qui font preuve d'une lamentable duplicité.