Assassinat du journaliste James Foley : pourquoi il ne faut surtout pas regarder la vidéo

 

Par Jean-Paul Mari

 

Carnets d'un grand reporter

 

LE PLUS. Le journaliste américain James Foley avait été enlevé en Syrie en novembre 2012. Les djihadistes de l'Etat islamique (EI), présents en Irak et en Syrieaffirment aujourd'hui l'avoir décapité, mise en ligne d'une vidéo à l'appui. Comment comprendre cette mise en scène macabre ? Y réagir ? Éclairage de Jean-Paul Mari, grand reporter.

 

Que faire face à cette horreur ? À chaque fois, le problème se pose dans les mêmes termes.

 

Rappelons-nous. La dernière exécution spectaculaire était celle de Daniel Pearl, correspondant du "Wall Street Journal", disparu en janvier 2002 à Karachi.

 

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la mort de James Foley, reporter américain pour "GlobalPost" et l’AFP. Il avait été enlevé en novembre 2012 en Syrie par l’État islamique (EI).

 

L'horreur, doublée d'une publication

 

James Folley, 40 ans, était un "journaliste courageux, indépendant et impartial", précise l’AFP. Tous ses confrères le savaient. Il avait couvert notamment le conflit en Libye. Comme la mort ou la blessure, la prise d’otages fait aujourd’hui partie des risques du métier, notamment dans les pays les islamistes armés, intégristes, salafistes, djihadistes de tout poil sont impliqués.

 

Cette fois encore, la méthode des islamistes est la même.

 

D’abord, l’horreur. Un homme masqué égorge un être humain, le décapite. Ce qui se fait quotidiennement en Syrie ou en Irak dans les zones occupées par les djihadistes contre leurs adversaires, leurs prisonniers, les chrétiens, les "apostats", les fonctionnaires du gouvernement, bref contre tous ceux qui s’opposent à leur diktat.

 

Ensuite, une mise en scène, très sanglante certes, mais grotesque. On habille l’otage d’une tenue orange, censée rappeler la tenue de prisonniers à Guantanamo. Puis la victime est égorgée au couteau et décapitée avec un cérémonial qui soulève le cœur.

 

Enfin, la publication et la diffusion à l’infini de cette scène qui provoquera les réactions souhaitées. Soit, chez les êtres humains normaux, un sentiment horrifié, voire la peur et la terreur. Soit, chez les islamistes armés et leurs affidés, un sentiment de toute-puissance pour un geste sacrificiel au nom supposé de Dieu.

 

Un aveu de faiblesse et d’impuissance des djihadistes 

 

La réalité politique est que les djihadistes de l’État islamique sont, depuis une dizaine de jours, en train de se faire matraquer par les avions et les drones américains qui ont mené plusieurs dizaines de frappes aériennes dans le Kurdistan au nord de l’Irak. Une campagne qui a réussi à desserrer l’étau des djihadistes en aidant la contre-offensive des peshmergas, les combattants kurdes, qui ont repris une partie du grand barrage de Mossoul tombé aux mains des forces de l’État islamique.

 

 

L’assassinat barbare de James Foley est bien sûr accompagné d’une menace, puisque la vidéo montre un autre journaliste pris en otage, Steve Sotlof, habillé dans la même tenue, prêt à subir le même sort. Le message, le chantage, est clair : "Arrêtez les bombardements, sinon.."

 

Il faut donc prendre cet assassinat barbare, exhibé et grotesque pour ceux qui l’ont commis pour ce qu’il est : un aveu de faiblesse et d’impuissance, une tentative minable de desserrer un étau militaire. On recule sur le terrain ? Alors tuons les otages de la façon la plus horrible, la plus sale possible et montrons au monde notre "force" et notre pouvoir de nuisance.

 

Il ne faut pas regarder cette vidéo

 

Que faire ?

 

D’abord, ne plus subir. Ne plus regarder, épouvanté ou fasciné, ces scènes d’un autre âge. Déjà, la plupart des sites d’information refusent de diffuser ces vidéos, même tronquées. Il ne faut pas dégrader l’image des victimes, mais flouter leurs visages martyrs et ne publier et ne garder d’eux que ce qu’ils étaient, comme James Foley, un superbe reporter de 40 ans, qui faisait son métier avec foi, avec cœur, avec courage, avec ce qu’ils manquent le plus à ses bourreaux, la décence.

 

Ne pas regarder ce que les barbares souhaitent que l’on voie, c’est leur dire non, même modestement. Dire qu’on n’entre pas dans leur jeu macabre. Une façon de ne pas être dupe, ne pas avoir peur, ne plus rester passifs.

 

Ensuite, il serait bon que nous, journalistes, nous prenions l’habitude rédactionnelle de qualifier justement ces groupes, mouvements, milices, armées, pour ce qu’ils sont. Et de rappeler leur caractéristique en écrivant leurs noms. D’accoler systématiquement le qualificatif "assassins preneurs d’otages" ou "connus pour prendre des otages et les exécuter" à l’État islamique, Al Nosra, Aqmi, Boko Haram et autres.

 

C’est un peu long à écrire à chaque fois, mais en dirait un peu plus sur la nature de ces combattants d’un autre âge qui confondent déshonneur et fierté, farce sanglante et parade militaire, rêvent de transformer l’horreur en un spectacle glorieux et prennent Dieu pour un boucher sanglant.