Espionnage de la NSA en France :
"Cette affaire sera très
vite oubliée"
21-10-2013
Par
Céline Lussato
Pour
Philippe Moreau Defarges, la réaction
française aux révélations d'espionnage américain en France est tout simplement réaliste.
L'agence de renseignement
américaine NSA a massivement espionné des
communications de citoyens français,
a révélé "le Monde", lundi
21 octobre, s'appuyant sur des documents de l'ex-consultant
Edward Snowden. Philippe Moreau Defarges, chercheur à l'Ifri, spécialiste de relations internationales
et enseignant à Sciences Po Paris, décrypte cette information.
Pourquoi Paris a-t-il une réaction un peu timorée après les révélations d'espionnage américain massif en France ?
-
On peut trouver la réaction française timorée mais elle
n'a rien d'étonnant. Ce genre de pratique d'espionnage est tout à fait courant de la part d'une
grande puissance comme les Etats-Unis. Surtout de la part d'une très grande
puissance inquiète comme peuvent l'être les Etats-Unis, et qui cherche à se protéger par tous les moyens.
La
pratique des écoutes n'est pas très respectable, mais est elle
tellement courante qu'elle
ne provoque pas de réaction
particulière. Et, seconde raison, cette affaire n'est pas si importante
que ça… Elle peut être un peu
vexante pour la sensibilité
française mais n'est pas très importante au moment où l'Europe est dans
une position très difficile alors que les Etats-Unis tendent à s'éloigner de l'Europe. Ce n'est
pas une question prioritaire.
La
France profite, elle aussi, peut-être, de ces écoutes ? Y-a-t-il une tradition de collaboration
étroite en terme de renseignement entre Paris et Washington ?
-
Je ne sais absolument pas si
la France profite ou non de
ces écoutes. Quant à la
collaboration en termes de renseignement,
il convient de distinguer les pays très proches des Etats-Unis – Royaume-Uni, Israël, Allemagne – des pays moins proches. Or, la France n'est pas dans le premier cercle. Et puis, Paris a toujours affirmé sa souveraineté
vis-à-vis des Etats-Unis et ces
derniers se méfient toujours un peu des Français et de leur caractère imprévisible.
Par
ailleurs, il faut comprendre que, si la France a les moyens de réaliser le même type de surveillance, il est évident qu'elle
le fait. Nous allons inévitablement
vers des sociétés d'extrême contrôle. Avec les moyens techniques que nous avons, comment empêcher les Etats de vouloir surveiller tout ce qu'ils peuvent surveiller ?
Cette réaction doit-elle être également analysée au regard des nombreuses positions communes de Paris et Washington de ces derniers mois
sur la scène internationale
concernant la Libye, le
Mali, la Syrie… ?
-
Oui, cela joue aussi. La France et les Etats-Unis sont fondamentalement dans le même camp. Le temps des grandes querelles des années 1960 et du Général de Gaulle est derrière
nous. La France a trop de difficultés
propres pour s'éloigner des
Etats-Unis. Cette affaire d'espionnage sera très vite oubliée car elle n'est pas très importante. Les Etats s'espionnent les uns les autres mais si la France et les Etats-Unis ont toujours eu des rapports compliqués, leurs intérêts communs, tant économiques que de lutte antiterroriste
ou de sécurité, sont aujourd'hui extrêmement forts. Cette affaire est donc secondaire.
Oui c'est agaçant qu'un de vos proches vous
espionnent mais même dans des familles
on s'espionnent. Et vous qualifiez la réaction française de timorée, je dirais plutôt qu'elle
est réaliste.
En
1981, Reagan avait ordonné
la création d'une cellule
de surveillance de la France au moment de l'arrivée
au pouvoir de Mitterrand, avec ce
fantasme que les communistes arrivaient au pouvoir. Cela avait
finalement fait scandale dans la presse mais avait aussi
été très vite oublié et n'avait pas empêché la France de
Mitterrand et les Etats-Unis de Reagan d'avoir d'excellentes relations.