Nucléaire iranien, entre tromperie et angélisme
26.11.2013
Par
Jacques Villain (Historien)
Saïd Jalili, le
principal négociateur iranien
du dossier nucléaire, lors
de la rencontre entre le groupe
des 5+1 et l'Iran à Genève.
Après
dix ans de négociations, de tergiversations, d'avancées,
de reculs, de parties de cache-cache entre les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique et le gouvernement iranien, un accord a enfin été trouvé entre le groupe des 5+1 et l'Iran sur le nucléaire.
Rappelons que la crainte de la communauté internationale est que l'Iran, engagé
dans un programme d'enrichissement d'uranium, parvienne à fabriquer une bombe, alors que ce pays a signé
le traité de non-prolifération
en 1968 et l'a ratifié en
1970 mais à l'époque du
Shah.
Comme à chaque fois, à l'issue de difficiles négociations, l'encre des signatures de l'accord
est à peine sèche que les parties affichent leur contentement, leur optimisme et se congratulent. Si dans certains cas,
cet optimisme se vérifie à plus ou moins long terme, il en est d'autres
aux conséquences plus funestes.
Les
accords de Munich de septembre 1938 sont de ceux-là. Ils devaient sauver
la paix mais le marché de dupes a enfanté la
guerre quelques mois plus tard. La fourberie de l'un et l'angélisme des autres ont alors
couté très cher au monde. Rappelons aussi que le Traité
de Versailles de 1919 avait interdit
à l'Allemagne de construire
des sous-marins ce qui n'a pas empêché Hitler d'en disposer en grande quantité quelques années plus tard. Les traités ne semblent donc engager que ceux qui les respectent.
UN
MUNICH DIPLOMATIQUE ?
Le
nucléaire militaire, entré dans les accords internationaux en 1963, n'est
pas, lui non plus, épargné
par la fourberie et les mauvaises
intentions. Si, en effet, on examine ceux signés entre les Etats-Unis et l'Union soviétique naguère mais aussi ceux
étendus à la communauté internationale, force est de constater que les bonnes intentions n'étaient pas toujours aux rendez-vous. Car
derrière le paravent médiatique
de la signature, on trouve toutes
sortes de turpitudes.
Il
y a, bien sûr, des traités dans lesquels
des pays n'ont pas été
parties prenantes, d'autres
qui ont été signés mais dénoncés
ultérieurement, d'autres signés mais non ratifiés, d'autres contournés et enfin d'autres signés et ratifiés mais dont
les moyens de contrôle n'ont pas permis de savoir s'ils étaient dûment
exécutés.
L'histoire du nucléaire militaire présente tous ces cas
de figure. A tout seigneur tout honneur : le TNP ou traité
de non-prolifération signé
en 1968. L'Inde, le Pakistan et Israël
n'y ont jamais
adhéré ce qui leur a permis de devenir des puissances nucléaires. Quant à la Corée du
Nord, elle a renié sa signature en 2003 et a mis au
point ses bombes.
En
1967, un traité interdisait
le déploiement d'armes de
destruction massive dans l'espace
mais était contourné par l'URSS qui, ne pouvant déployer une bombe nucléaire orbitale, en a déployé une semi-orbitale. En 1969, les Etats-Unis et l'URSS acceptaient de limiter le nombre
de leurs missiles offensifs
(Accords SALT : Strategic Arms Limitation Talks). Mais,
quelques mois plus tard, les Etats-Unis remplaçaient leurs missiles mono-tête par des multi-têtes, augmentant considérablement ainsi le nombre de leurs armes nucléaires.
QUEL RESPECT DE LA SIGNATURE DONNÉE ?
Le
Tircen ou Traité d'interdiction complète des essais nucléaires a été conclu en 1996. L'Inde, le
Pakistan et la Corée du Nord ne l'ont
pas signé et les Etats-Unis,
l'Egypte, la Chine, l'Iran
et Israël ne l'ont pas ratifié. En 2001, les Etats-Unis ont dénoncé le traité ABM (Anti Ballistic Missile) signé
avec l'URSS en 1972. Enfin,
les accords New Start de 2010 entre les deux superpuissances ne s'intéressaient
qu'aux armes nucléaires opérationnelles et oubliaient les armes de réserve aussi nombreuses.
Alors que deviendra cet accord signé entre le groupe 5+1 et l'Iran ? Nul ne le sait. Que sera le respect de la
parole et de la signature données ? Les moyens de contrôle seront-ils suffisamment efficaces pour vérifier que cet accord est bien respecté
par l'Iran ? Car la réussite
de cet accord tient essentiellement à cela. Et quand on sait que
les deux superpuissances ont plutôt été
défaillantes naguère et aujourd'hui sur ce point, on peut s'interroger.
Mais au-delà, Israël et certains pays sunnites du Golfe comme l'Arabie saoudite considèrent que cet accord ne règle rien et n'interdira
pas à l'Iran de poursuivre
son objectif, celui d'obtention de la bombe. Il est vrai que les déclarations
du guide suprême, Ali Khameneï,
sur le droit de son pays à l'enrichissement et sur la
destruction d'Israël n'incitent
pas à avoir une grande confiance dans l'application sincère d'un tel accord.
Alors faut-il être optimiste et rejeter ce qui pourrait être considéré
comme de l'angélisme de la
part des occidentaux ? Hélas,
seul l'avenir le dira. Mais ce
n'est pas sans risque. Ce qui est sûr,
c'est que l'ombre des accords de Munich, l'inefficacité
de la Ligne Maginot et, d'une
façon générale, les manquements aux traités planent et planeront toujours sur ce
genre d'accord.
Jacques
Villain (Historien)