Les nouveaux défis de la guerre
21.10.2013
Par
Gaïdz Minassian
Le monde change, la guerre aussi.
Depuis la fin de la guerre froide
en 1991, les conflits opposent
de moins en moins les puissances entre elles et se déroulent de plus en plus à l'intérieur
des Etats. Penser la guerre
était le thème de la 16e édition des Rendez-vous de l'Histoire, organisée du 10 au 13
octobre à Blois, dont Le
Monde est partenaire.
Guerre d'hier, d'aujourd'hui
et de demain, les quatre journées de débats et de conférences ont revisité la notion de conflit sous tous ses
angles. A l'issue de cette réflexion, devant un public toujours plus nombreux, un constat s'impose : la mondialisation produit de profondes fractures dont certaines dégénèrent en guerres d'un type nouveau face auxquelles
les Etats, en tant que garants de la paix internationale, doivent se préparer et relever plusieurs défis.
Le
premier défi est historiographique. Faut-il pour étudier les conflits dépasser le cercle devenu trop étroit
des histoires nationales ?
A la veille des commémorations
de la première guerre mondiale, le débat entre historiens s'emballe. Jusqu'à maintenant, les tenants de l'histoire
nationale occupaient le
haut du pavé. Mais depuis quelque temps, la
discipline historique s'est
elle-même ouverte à d'autres approches. Considérant que les conflits actuels sont de nature à impliquer divers
acteurs de différents Etats, l'histoire transnationale propose un autre
regard sur la guerre, jusqu'à
réinterpréter la Grande Guerre sous
l'angle global, comme l'a fait non sans audace l'historien américain Jay Winter,
dans le dernier ouvrage qu'il a coordonné La Première
Guerre mondiale (Tome I, Fayard,
35 € ), paru le 9 octobre.
Le
deuxième défi est philosophique puisqu'il a pour enjeu l'opposition entre la vie et la mort. Ravagée
par les deux conflits mondiaux, l'Europe ne voulait plus entendre parler de
guerre. Au cours de ses différentes interventions, notamment
dans sa conférence
de clôture, le réalisateur
Bertrand Tavernier a mis l'accent
sur l'absurdité de certaines décisions prises par les états-majors en
1914-1918 qui se sont traduites
par la mort de dizaines de milliers
de jeunes Européens considérés comme de la chair à
canon. Les traumatismes laissés
par les carnages de 1914 comme ceux
de 1939-1945 ont engendré dans l'opinion publique européenne un rejet de la guerre, si bien qu'aujourd'hui l'Occident semble récuser la violence, alors que le reste du monde y demeure exposé.
Le
troisième défi est sociologique. Les sociétés civiles aspirent à participer au processus de décision du politique, et les conflits les impliquent davantage. Les Etats doivent donc
contenir la contestation lors
du déclenchement d'une
guerre. On l'a vu dans l'examen du dossier syrien. Les
opinions publiques opposées
à une intervention ont fini par freiner le projet des Occidentaux. Mais qui a vraiment dissuadé Washington et Paris de lancer des raids contre le régime de Bachar
Al-Assad ? L'accord russo-américain
sur le démantèlement de l'arsenal chimique syrien ou l'hostilité
des opinions publiques ? Rien
ne dit que ces dernières ont
été l'élément déterminant d'une recherche de solution diplomatique
à la crise. Le débat reste toutefois ouvert.
PARI DÉMOCRATIQUE
Un
autre défi, militaire cette fois, soulève une
question centrale : quelle
doctrine les Etats doivent-ils
adopter face aux nouvelles formes
de guerres ? Selon
Jean-Yves Le Drian, ministre
de la défense, présent à
Blois, pour qu'une intervention armée
soit pleinement justifiée, elle doit réunir le triptyque sécurité-moralité-légitimité,
qui ne va pas forcément de
pair avec la légalité. D'où
la revalorisation du concept de "guerre juste" dans le débat stratégique à travers le principe de "responsabilité de protéger".
Enfin, dernier défi,
stratégique celui-là : contre le terrorisme, l'administration Obama veut par exemple opposer aux trois forces traditionnelles que représentent l'armée de terre, l'aviation et la marine, un autre
attelage tactique : forces spéciales, drones, cyberguerre. Cette approche née de la mondialisation des risques a poussé les Etats à s'adapter aux nouvelles sources d'insécurité, comme le terrorisme de masse, les mafias et la criminalité
sur Internet. Contre ces réseaux, l'Etat
ne peut pas mener une action militaire classique. Il doit faire appel à d'autres moyens de défense mais aussi préconiser
une autre conception de la sécurité. Ainsi, par exemple, doit-il déléguer là où
il intervient militairement une partie de sa logistique
à des entreprises militaires
privées dans des zones de
combats.
Surmonter ces défis, c'est parvenir
à créer les conditions d'un monde meilleur
où le "vivre ensemble" prend
tout son sens. Dans sa conférence inaugurale,
le diplomate et historien israélien Elie Barnavi a imaginé les contours d'une solution pour une paix durable : diffuser la démocratie
à travers le monde pour éradiquer
la guerre. Pour lui, en effet
deux démocraties n'entrent jamais en conflit. Ce pari
démocratique ne repose pas que
sur les épaules des Etats, car guerre et paix ont toujours divisé
l'humanité. Un choix d'autant plus difficile aujourd'hui que le monde reste complexe, dangereux et rebelle. "Les rebelles", justement, seront le thème de la 17e édition des Rendez-vous de Blois,
l'an prochain.
minassian@lemonde.fr
Gaïdz Minassian
(Service Débats)