Comment la NSA espionne la France
21.10.2013
Par
Jacques Follorou et Glenn Greenwald
Selon les documents de l'Agence
nationale de sécurité (NSA) obtenus par Le Monde, les
communications téléphoniques des citoyens
français sont, en effet, interceptées de façon massive. Ces pièces, dévoilées en juin par l'ex-consultant de l'agence, Edward Snowden, décrivent
les techniques utilisées pour capter
illégalement les secrets ou
la simple vie privée des Français.
Certains éléments ont été évoqués
par l'hebdomadaire allemand
Der Spiegel et le quotidien
britannique The Guardian. D'autres
sont inédits.
Pour
en savoir plus sur le contexte
des révélations du Monde, lire l'éditorial
: "Combattre Big Brother"
Parmi les milliers
de documents soustraits à la NSA
par son ex-employé figure un graphique
qui décrit l'ampleur des
surveillances téléphoniques réalisées
en France. On constate que sur une période
de trente jours, du 10 décembre 2012 au 8 janvier 2013,
70,3 millions d'enregistrements de données téléphoniques des Français ont été
effectués par la NSA.
LES
TROIS PARTIES
L'agence dispose de plusieurs
modes de collecte. Quand certains numéros de téléphone sont utilisés dans l'Hexagone,
ils activent un signal qui déclenche automatiquement l'enregistrement de certaines
conversations. Cette surveillance récupère
également les SMS et leur contenu en fonction de mots-clés. Enfin, de manière systématique, la NSA conserve l'historique des connexions de chaque cible.
Cet espionnage apparaît au titre du programme "US-985D". L'explicitation
exacte de ce sigle n'a pas été
fournie, à ce jour, par les
documents Snowden ni par d'anciens
membres de la NSA. A titre de comparaison, les sigles utilisés par la NSA pour le même type d'interception visant l'Allemagne sont
"US-987LA" et "US-987LB". Cette série de numéros correspondrait au cercle qualifié par les Etats-Unis de
"troisième partie"
auquel appartiennent la
France, l'Allemagne mais aussi l'Autriche, la Pologne ou encore la Belgique. La "deuxième partie" concerne les pays anglo-saxons historiquement proches de Washington, le Royaume-Uni,
le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, connus sous le nom des "Five Eyes". La "première partie" concerne, elle, les seize services secrets américains.
Lire
: L'ampleur de l'espionnage
mondial par la NSA
Les
techniques utilisées pour ces
interceptions apparaissent sous
les codes "DRTBOX" et "WHITEBOX". Leurs caractéristiques ne sont pas connues. Mais on sait que grâce
au premier code, 62,5 millions de données téléphoniques sont collectés en France du 10 décembre
2012 au 8 janvier 2013 et que
le second permet d'enregistrer
sur la même période 7,8 millions d'éléments.
Les documents donnent suffisamment
d'explications pour penser que les cibles de la NSA concernent aussi bien des personnes suspectées de liens
avec des activités terroristes
que des individus visés pour leur simple appartenance au monde des affaires, de la politique ou à l'administration française.
Le
graphique de la NSA montre une moyenne
d'interceptions de 3 millions de données
par jour avec des pointes à presque 7 millions les 24
décembre 2012 et 7 janvier
2013. Mais du 28 au 31 décembre,
aucune interception ne semble
avoir été opérée. Cet apparent arrêt d'activité pourrait s'expliquer, notamment, par le délai nécessaire à la reconduction, fin
décembre 2012, par le Congrès
américain de la section 702 de la loi
encadrant l'espionnage électronique à l'étranger. De même, rien n'apparaît
les 3, 5 et 6 janvier 2013 sans que
l'on puisse, cette fois-ci, avancer de raison plausible. De nombreuses
questions se posent encore, à commencer par l'identité précise des cibles et les justifications d'une
collecte si massive de données sur un territoire étranger, souverain et allié.
Voir le visuel interactif : "Plongée dans la 'pieuvre' de la cybersurveillance de la NSA"
Sollicitées, les autorités
américaines n'ont pas souhaité commenter ces documents qu'elles considèrent comme "classifiés". Néanmoins, elles renvoient à la déclaration faite, le 8 juin, par le directeur national du renseignement
américain : "Pour les personnes
ciblées à l'extérieur de nos frontières, nous ne pouvons les viser sans de motifs légalement fondés, tels que la menace terroriste, informatique ou de prolifération nucléaire."
"INFORMATEUR UNIVERSEL"
La
France n'est pas le pays où
la NSA intercepte le plus
de connexions numériques ou téléphoniques. Le système "Boundless Informant" (informateur universel), révélé, en juin, par Edward
Snowden au Guardian, a permis d'avoir
une vision d'ensemble et en
temps réel des renseignements
récupérés à travers le
monde grâce aux différents systèmes d'écoutes de la NSA. "Boundless Informant" collecte
non seulement les données téléphoniques (DNR) mais aussi celles
liées à l'univers numérique (DNI).
L'un de ces
documents, que Le Monde a pu
consulter, relève qu'entre
le 8 février et le 8 mars, la NSA
a collecté 124,8 milliards de DNR
et 97,1 milliards de DNI dans
le monde dont, bien évidemment, des zones de guerre comme
l'Afghanistan, ainsi que la Russie ou
la Chine. En Europe, seuls l'Allemagne
et le Royaume-Uni dépassent
la France en termes de nombre
d'interceptions. Mais pour
les Britanniques, cela s'est fait avec l'assentiment de leur gouvernement...