Les Communes votent contre ... Tony Blair

 

30.08.2013

 

Edito du "Monde". Il a quitté le pouvoir le 27 juin 2007, après l'avoir exercé dix ans. Il ne prévoit pas de revenir sur la scène politique nationale. Il coule des jours tranquilles, entre missions philanthropiques et gestion de sa fortune. Pourtant, c'est bien contre Tony Blair que les membres de la Chambre des communes ont voté dans la soirée du jeudi 29 août.

 

C'est le traumatisme de l'épisode irakien, dans lequel l'ancien premier ministre travailliste entraîna son pays en 2003, qui explique le "no" du Parlement britannique à une action en Syrie. Ce n'est pas David Cameron, l'actuel chef de la coalition conservatrice-libérale qui a été battu. Ou, plutôt, il paye pour Tony Blair, comme M. Cameron l'a reconnu lui-même, durant le débat, en constatant "l'héritage empoisonné de l'épisode irakien".

 

Ainsi coule l'Histoire – en démocratie, au moinschoisissant son moment pour l'exercice expiatoire : il fallait que le peuple, au travers de sa représentation parlementaire, renvoie la monnaie de sa pièce à un pouvoir qui l'a trompé. C'est fait.

Par 285 voix contre 272, les élus britanniques ont rejeté la motion sur la Syrie présentée par M. Cameron. Le premier ministre prônait une action "ciblée " contre le régime de Damas. Il entendait sanctionner l'emploi de l'arme chimique par les forces de Bachar Al-Assad.

 

L'ensemble des députés du Labour, suivis par plusieurs dizaines de conservateurs, ont demandé à M. Cameron de "tenir compte des leçons de l'Irak". Le premier ministre a dit qu'il se conformerait au voeu de la Chambre : il n'y a aura pas de participation de Londres à des tirs de missiles sur la Syrie.

 

Washington a fait savoir que la décision du Royaume-Unil'allié privilégié, celui de la "relation spéciale" – n'empêcherait pas les Etats-Unis d'intervenir. Mais elle ne peut pas ne pas embarrasser Paris – même si, officiellement, la position de la France reste qu'il est impossible de ne pas réagir à l'emploi de l'arme chimique.

 

Comme aux Etats-Unis et en France, le vote des Communes reflète les sentiments de l'opinion. Mais les Britanniques, habituellement peu rebelles à l'entrée en guerre de leur pays, sont toujours victimes du syndrome irakien.

 

M. Blair a entraîné le Royaume-Uni dans l'invasion de l'Irak sur la base de renseignements manipulés. Il s'agissait de renverser le régime de Saddam Hussein au motif qu'il détiendrait un arsenal d'armes de destruction massives... qui n'existait pas. La guerre fut menée sans autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU. Et, comme on sait, l'aventure a mal tourné.

 

M. Blair n'a jamais reconnu la moindre erreur de sa part dans l'épisode. Ce faisant, il a entretenu dans l'opinion ce sentiment qu'une faute n'avait pas été expiée, qu'une responsabilité n'avait pas été sanctionnéebref qu'on n'a pas tiré les leçons de l'épisode.

 

Alors, peu importe que la situation en Syrie n'ait rien à voir avec le précédent irakien. L'opinion est méfiante et sceptique. Elle veut des preuvesil y en a pourtant ! –, elle veut des assurances sur un engagement limité, elle veut une manière de feu vert international.

 

La question n'est pas militaire : Washington n'a besoin ni de Londres ni de Paris. La question est politique. Comment réagir à l'emploi d'une arme de destruction massive ?