Les députés esquissent difficilement des pistes pour protéger les données personnelles
12.06.2013
Par
Martin Untersinger
Le
débat public sur la
protection des données personnelles
sur Internet, mardi 11 juin à l'Assemblée nationale, était prévu de longue date. Mais le télescopage avec l'affaire de
surveillance d'Internet révélée
le 6 juin par le Guardian et le Washington Post lui a donné une
tonalité particulière.
Si
Fleur Pellerin, interrogée
par une douzaine de députés, a évoqué "un sujet très préoccupant
pour nos citoyens et nos entreprises", la ministre déléguée à l'économie numérique est restée très
floue lorsque la députée Laure de la Raudière
(UMP) l'a interrogée sur une éventuelle
réponse diplomatique de la
France dans cette affaire.
MÉFIANCE PARTAGÉE ET TEXTES INADAPTÉS
Plus
généralement, si l'inquiétude et la méfiance liées à la surveillance des réseaux
étaient bien présentes dans les questions des députés et les réponses de la ministre, les protagonistes devaient se pencher sur de plus larges questions. L'agenda
concernant la protection des données
personnelles est en effet chargé : un projet de règlement européen sur le sujet est
à l'étude, et le gouvernement
a annoncé une loi sur le numérique
pour 2014, qui devrait comprendre
un volet sur la protection
des données personnelles, promesse de campagne présidentielle de François Hollande.
Un
consensus existe parmi les députés et l'exécutif sur le caractère dépassé de la législation qui encadre actuellement les données personnelles. Constat résumé par Isabelle Falque-Pierrotin,
la présidente de la Commission nationale
de l'informatique et des libertés
(CNIL), auditionnée par les
députés : "Nous sommes
face à des données personnelles
qui ont une valeur économique, c'est une nouveauté.
Le système juridique date
de 1995 [une directive européenne],
une période où Internet n'existait pas."
Mme Pellerin a également pointé le caractère "peu clair" de cette directive, notamment dans son champ d'application géographique.
PEU DE MARGES DE MANŒUVRE EUROPÉENNES
Face
à ce constat, les marges de manœuvre des députés à l'échelle nationale, sur une question où les frontières n'ont guère de sens, sont très réduites.
La ministre de l'économie numérique le reconnaît à demi-mot, qui explique que "le règlement européen va impacter
la future loi numérique de
2014". Lionel Tardy, député UMP de la Haute-Savoie, regrette que ce débat
parlementaire arrive si tard "dans la saison", alors que les négociations européennes sont bien avancées.
Le
gouvernement français s'oppose d'ailleurs à l'Europe sur un point essentiel : le projet de règlement prévoit actuellement qu'un citoyen souhaitant faire valoir ses droits
vis-à-vis de ses données s'adresse au régulateur du territoire où est
installée l'entreprise incriminée. Une disposition qui pourrait inciter les entreprises
à s'installer là où le régulateur a peu de moyens, a alerté le député Patrice Martin-Lalande (UMP). Le gouvernement français défend, lui, une mesure
par laquelle le citoyen pourrait saisir la commission de l'informatique et des libertés de
son lieu de résidence.
LOBBYING
INTENSE
Les
députés et la présidente de
la CNIL ont également souligné à plusieurs reprises l'intensité du
lobbying qui a lieu à Bruxelles dans
le cadre du projet de règlement
sur les données personnelles.
Lire
: Très chères données personnelles
L'une des concessions que
tentent d'obtenir les lobbyistes, notamment pour le compte des groupes géants de l'Internet, c'est que les données
"pseudonymisées", c'est-à-dire
débarrassées du nom de l'internaute,
échappent au champ du règlement.
Encore un point de tension. Pour Isabelle Attard, députée Europe Ecologie-Les Verts du Calvados, relier un vrai nom à une base de donnée, comme des conversations téléphoniques, est un " jeu d'enfant" et la promesse d'anonymat "une malhonnêteté". Isabelle Falque-Pierrotin met aussi en garde contre un "détricotage de la protection des données
personnelles".
LA
NÉCESSITE ÉCONOMIQUE
La
France est également tiraillée entre deux exigences : favoriser la
formidable croissance promise par l'exploitation
des données personnelles
par les entreprises, tout en garantissant
leur protection. "Il ne faut
pas entraver l'économie, mais protéger les droits personnels" résume le député des Alpes-Maritimes Charles-Ange Ginesy (UMP).
Fleur
Pellerin, pour sa part, ne semble pas savoir comment résoudre
le dilemme : "Les entreprises
européennes ne doivent pas être désavantagées par rapport
aux autres sous prétexte qu'elles respectent la loi, mais les données des citoyens ne doivent pas être transférées n'importe où", explique-t-elle.
Alors, quand, successivement, les députés socialistes Laurence Dumont et Christian Paul évoquent une inscription dans la Constitution du principe
de protection des données personnelles,
la ministre déléguée à l'économie numérique juge l'hypothèse "compliquée", craignant
"de figer des principes
qui empêcheraient l'innovation
des entreprises, dans un univers où la technologie
évolue rapidement".
QUELQUES PISTES
Des
idées, floues pour la plupart, ont tout de même été évoquées
pendant le débat. Patrice Martin-Lalande
avance par exemple "l'avantage comparatif" que pourraient tirer aux yeux des consommateurs les entreprises françaises ou européennes
plus respectueuses de la vie privée
que leurs concurrentes.
Isabelle
Falque-Pierrotin a elle suggéré que le droit à la portabilité, c'est-à-dire la possibilité pour
les internautes de récupérer
les données qu'ils ont laissées sur
un service, une disposition prévue
par le règlement européen, soit intégrée dès
la loi sur le numérique de 2014, afin de "réintroduire une forme de concurrence". Elle a également
expliqué militer pour que l'éducation au numérique – "le premier niveau
de la protection et de la maîtrise" – soit déclarée grande
cause nationale.