La 'croisade' d'Obama contre le terrorisme
14.05.2013
Sylvie
Laurent (Américaniste, Sciences Po)
En
septembre 2001, Georges W. Bush lançait
une "croisade contre la terreur" dont le point d'orgue fut une guerre d'Irak désastreuse et illégitime qui dura dix ans. Sans doute pour célébrer ce glorieux
épisode, il propose aux visiteurs de sa toute nouvelle bibliothèque présidentielle un jeu interactif sur ladite guerre, qui offre la belle
légende d'un conflit juste et inévitable pour assurer
la sécurité de l'Amérique contre la menace "terroriste".
Mot tout-puissant.
Au
nom de cette guerre contre
les terroristes, la torture est
aujourd'hui pratiquée à
Guantanamo, où près de 20 détenus en grève de la faim, pour dénoncer les
conditions indignes de leur
détention, sont attachés de
force à une chaise et gavés
par une sonde.
Au
nom de son statut décrété
de terroriste, Dzhokhar Tsarnaev, le frère survivant impliqué dans l'attentat
du marathon de Boston, se vit privé
de son droit constitutionnel
de citoyen américain de se voir lire ses droits,
dont celui de demeurer silencieux. Peut-être ce dernier a-t-il voulu tuer
en masse des civils innocents pour des motifs politiques et mérite-t-il donc à ce
titre le nom de terroriste.
Mais on ne peut s'empêcher de constater que ce mot-stigmate
est une condamnation
à l'exclusion symbolique de
l'espace national américain.
Appeler Dzhokhar Tsarnaev "terroriste",
insister sur sa carnation
"sombre" comme le
fit la presse et présumer
de son identité de djihadiste
est un effacement rhétorique
d'une réalité crue : le jeune homme est un Américain
et ce sont en grande partie les Etats-Unis qui l'ont produit, comme ils ont produit
Adam Lanza, qui tua par armes des dizaines d'enfants à Newton et dont la sénatrice Claire McKaskill se demande aujourd'hui s'il ne devrait pas être lui aussi
appelé "terroriste".
SERVICES
DE SÉCURITÉ AMÉRICAINS
C'est dans ce contexte que
l'on doit comprendre la décision prise la semaine dernière par les services de sécurité
américains – dont le département de la justice – d'inscrire
la militante noire Assata Shakur sur la liste
des terroristes les plus recherchés
du pays, liste créée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, qui contient les noms de 32 hommes, essentiellement des musulmans moyen-orientaux. Shakur, tante du rappeur Tupac Shakur, de son nom de
naissance Joanne Byron, avait déjà été, suite au Patriot Act (loi antiterroriste), nommée "terroriste domestique" (on parlerait de "terrorisme intérieur" en France).
Aujourd'hui, l'ancienne
militante des Black Panthers installée
depuis vingt-neuf ans à Cuba, où elle bénéficie du statut de réfugiée politique, voit le
"prix" de sa capture doubler.
Avec ce nouveau statut et 2
millions de dollars, le gouvernement américain espère sans doute faire plier un régime castriste vieillissant et obtenir l'extradition de Shakur.
En
1973, cette activiste new-yorkaise fut arrêtée
et condamnée pour le meurtre
d'un policier lors d'une fusillade dans le New
Jersey. Alors même qu'elle avait elle-même
reçu deux balles dans le dos et que l'ensemble des charges retenues contre elles s'étaient rapidement révélées fallacieuses, elle demeura en prison où elle subit nombre
de mauvais traitements avant son évasion en 1979 et son
installation à Cuba.
Sœur de lutte d'Angela Davis, dont le combat est actuellement porté à l'écran, elle est le reflet
inversé de Tsarnaev : on est certain que sa cause et son combat étaient et
sont encore politiques mais on ne peut dire qu'elle est criminelle
et qu'elle a tué pour la
cause.
Chaque jour, l'illusion
selon laquelle l'Amérique est sortie des heures sombres de la guerre à la terreur est plus éclatante : alors que la guerre des drones bat son plein,
le pays continue à vivre dans un état
de suspension démocratique qui, chaque
jour, consterne davantage
les défenseurs des libertés
civiles : ici, les étudiants de l'université Yale s'émeuvent du projet d'implantation d'un centre de formation à l'interrogatoire que le Pentagone voudrait voir orchestrer par un psychiatre qui s'est illustré par ses études sur la façon
dont "mentent" Arabes et musulmans ; là des milliers de Latinos sans papiers sont contrôlés,
fichés et emprisonnés au
nom du Patriot Act.
Ajoutons que depuis 2001, dans les rues de New
York ou d'Atlanta, un Noir
a dix-huit fois plus de
chances de se faire interpeller par la police qu'un Blanc, discrimination intolérable
que l'on justifie par la nécessaire guerre
contre la terreur.
Le
président Barack Obama porte
une responsabilité historique dans la perpétuation de cet état de non-droit. Il évoque aujourd'hui la fermeture de Guantanamo, vieille promesse, en oubliant un peu vite que
c'est lui qui a signé le National Defense Authorization Act en 2005, qui interdit jusqu'à aujourd'hui le financement du transfèrement des prisonniers sur le sol américain et qu'il est en son pouvoir de faire libérer ou extrader les 86 prisonniers blanchis par la
justice. Loin d'être en cohérence avec ses engagements et ses déclarations de bonnes
intentions, son administration, par cette incompréhensible élection de Shakur au nombre des "principales menaces terroristes contre le pays", participe
de l'identification venimeuse
des basanés au terrorisme
et elle apporte sa pierre à la funeste croisade contre la terreur qui est désormais la sienne.