Aujourd’hui Rambo, demain
Terminator?
21 mars 2013
L’invasion de l’Irak a dix ans. Elle a entraîné une profonde transformation de l’art de la guerre américain. Une mue qui soulève de profondes interrogations.
Héros sans visage d’une guerre interminable, le Shooter est foutu. Ce soldat a quitté l’armée sans attendre de pouvoir toucher une pension. Aujourd’hui, il se retrouve sans emploi, sans couverture santé, sans aucune perspective. Et pourtant, il est l’homme qui a liquidé l’ennemi public numéro un, Oussama Ben Laden.
La confession du shooter, dont le nom est gardé secret, est au centre d’un article publié par le mensuel Esquire. L’article oscille entre le suspens de la traque et l’ennui du retour à la vie civile. Comme on peut s’y attendre, la peur est plus grande au moment de redevenir un homme comme un autre. Il y a de quoi.
Chaque jour près de 22 vétérans américains attentent à leur jour. En 2010, davantage de soldats se sont suicidés qu’il n’y a eu de morts au front. Environ 13% des SDF américains sont d’anciens militaires. Le taux de chômage des vétérans est de deux points supérieur à la moyenne nationale, déjà élevé.
Des faucons qui ne convainquent plus
Le slogan "support our troop" ("soutenons nos troupes"), omniprésent au début de la guerre en Irak, il y a dix ans, a fort commodément été oublié à l’heure de la retraite. Et un "syndrome Rambo" guette l’Amérique. Les boys y trouveront-ils leur place ou en fera-t-on des parias, comme ont pu l’être certains anciens du Vietnam?
Comme le premier Rambo (qui n’était pas qu’une sombre machine à tuer, mais un vétéran rejeté par son pays), ils risquent en effet d’incarner malgré eux un mauvais souvenir, celui d’une aventure qui a mal tourné. Même à droite, les faucons ne semblent plus convaincre. En février, Washington a rejoué le drame budgétaire qui l’occupe depuis deux ans. La course était engagée pour éviter la confiscation, ou les coupes automatiques, prévue par le "sequester", un mécanisme conçu en 2012 pour contraindre démocrates et républicains à s’entendre. Mais cette menace n’a pas suffi et le budget fédéral se trouvera amputé de 85 milliards de dollars (64,3 milliards d'euros).
Le Pentagone n’échappera pas au couperet. Le risque est pourtant grand pour les républicains, qui se targuent d'être les champions d’une Amérique forte. Le Sénateur John McCain a bien tenté de mobiliser ses confrères pour éviter les réductions des dépenses militaires. Mais il n’a pas été entendu. L’austérité et l’isolationnisme qui l’accompagne l’ont emporté.
Vers un renouveau de la doctrine militaire ?
L’heure des comptes est effectivement venue. Différentes publications rendent compte de cette interrogation. Que restera-t-il de la guerre contre la terreur et quelle doctrine militaire les Etats-Unis doivent-ils adopter ?
La célèbre revue Foreign Policy vient ainsi ment de conduire un sondage auprès de 71 spécialistes des questions de défenses. Les résultats donnent l’impression que l'on envisage plutôt un désengagement. Ces experts estiment en majorité qu’Al Qaïda est plus faible aujourd’hui, que le retrait d’Afghanistan se fait trop lentement ou au bon rythme, que le budget du Pentagone sera réduit au cours des dix prochaines années.
A nouveau, la dette agit comme un révélateur. Les membres de cet aréopage sont-ils prêts à suivre le chef d'état-major interarmées américain, l'amiral Mike Mullen, pour qui la plus grande menace pesant sur la sécurité nationale est la dette ? Le résultat est équivoque et ces experts en matière de défense se partagent en deux camps de taille à peu près égale. Le consensus de l’après 11-septembre est brisé.
Barack Obama tient néanmoins à sa posture de chef de guerre. Dans le dossier iranien, il continue d’adopter un ton ferme et n’exclut aucune possibilité, pas même une intervention. Richard Betts, membre de l’influent think tank Council on Foreign Relations affirme dans Foreign Affairs qu’une stratégie d’endiguement serait mieux avisée. Il vaudrait mieux, selon lui, contenir la puissance iranienne sans tirer un coup de feu et viser le pouvoir de Téhéran.
En cas d’attaque par Téhéran, un substitut à la guerre "consisterait de menacer non de réduire à néant la population iranienne, mais plutôt de détruire le régime, ses leaders, ses agences de sécurité et les actifs du gouvernement iranien, s’il avait recours au feu nucléaire". Les Etats-Unis pourraient ainsi laisser à Israël le soin de mener une mission de contre-attaque massive. L’aventure irakienne a laissé des traces et la guerre préventive suscite moins d’enthousiasme.
Un général maestro des présentations power point
Autre exemple de posture martiale, Barack Obama tient à décider lui-même quels seront les terroristes présumés qui seront éliminés par drone. Une procédure qui ressemble à celle suivie en 1965 par Lyndon Johnson lors de la campagne de bombardement aérien Rolling Thunder. Lui aussi tenait à choisir les cibles. Si l’Amérique est exsangue, le militarisme est toujours de mise à la Maison-Blanche.
L’armée a elle aussi pris une forme hybride au cours des dernières années et privilégie aujourd’hui les usages bureaucratiques. Le général emblématique de cette décennie de guerre, David Petraeus sortait à peine des bases ultraprotégées de l’armée américaine, comme le souligne The New Yorker. Rarement, était-il au front ou en patrouille. Il était bien davantage un maestro des présentations power point qu’un homme de terrain. (A cet égard, il est tout à fait significatif qu’il doive sa chute à un échange de courriels.)
Le couronnement de sa carrière fut même de rejoindre un administration civile, la CIA, dont il devint le patron en 2011. Il y poursuivit la transformation de l’art de la guerre américain en une administration de l’attaque ciblée par drones. Ainsi du Nevada, un pilote peut sans jamais quitter le sol (ni le confort du bureau) effectuer des frappes au Yémen, au Pakistan, partout sur la planète où la Maison-Blanche le juge bon.
La controverse enfle autour de ce programme et le gouvernement américain fait pour le moment le choix de brouiller les pistes en entretenant délibérément la confusion. Malheureusement, de dangereux précédents sont créés, s'indigne la New York Review of Books (NYRB).
Elle s’inquiète notamment de voir venir le jour où la Russie et la Chine s’arrogeront le même droit que les Etats-Unis. Et que dirait-on d’une force policière qui appréhenderait les individus supposés représenter une "menace imminente" ? C’est pourtant ce que fait présentement la CIA. Enfin, ce programme de défense, estime la NYRB, devrait être administré par le Pentagone, où la lumière entre davantage que dans les bureaux de la CIA, cela afin d’en garantir la transparence.
Une telle évolution semble inévitable. Car Terminator n’est pas très loin. On pourrait bientôt voir des robots, ou des drones robots, entièrement autonomes, capables donc de décider quand opérer une frappe. Les Etats-Unis ont fait le choix de ne pas développer pour le moment ce genre de technologies. Mais il n’est pas anodin que ce soit le Pentagone qui, en novembre, ait émis ce moratoire. Sans doute se réserve-t-il le droit de changer subitement d’avis si un rival se met à développer ce genre d'armes...