G8 : Cinq heures d'attente pour une photo de famille

 

19.05.2012

 

Par Thomas Wieder

 

Cinq heures pour faire quarante kilomètres. On se disait au départ que c'était compter large. On s'aperçut à l'arrivée que c'était juste suffisant. Samedi 19 mai, c'est à la vitesse des tortues que les journalistes français accrédités au sommet du G8 ont pénétré dans l'enceinte ultra-sécurisée de Camp David pour avoir le privilège d'assister à la photo de famille des huit chefs d'Etat et de gouvernement qui y tiennent sommet toute la journée.

 

6 h 30 du matin. Le jour se lève sur la côte est des Etats-Unis. Le ciel est clair, l'air est frais. Vingt-quatre journalistes français quittent le Eisenhower Resort Inn de Gettysburg, un grand complexe hôtelier niché en pleine nature à une centaine de kilomètres au nord de Washington, les attend un minibus noir.

 

Un quart d'heure plus tard, premier arrêt devant une "High Scool". La petite troupe descend. Le minibus démarre. On attend quelques minutes. Un grand autocar blanc arrive. On monte. On repart.

 

Vingt minutes passent, le car avance à vitesse lente sur la route n°15, en direction du Sud. Le paysage est bucolique, vallonné, jalonné de ruisseaux, verdoyant. Ambiance "Petite maison dans la prairie ". A un moment un panneau indique que l'on quitte la Pennsylvanie pour le Maryland. Et puis nouvel arrêt.

 

Cette fois, personne ne descend du car. Le chauffeur prie les passagers de rester assis. Quelques secondes plus tard, un homme à la carrure intimidante fait son entrée. Son gilet pare-balles indique la couleur : "Secret Service". Il inspecte chaque rang, vérifie que tout le monde a son "yellow badge", autrement dit le sésame qui permet d'accéder à la zone de sécurité. L'autocar repart et s'arrête à nouveau trois cent mètres plus loin : un individu qui ressemble comme un frère au précédent se livre à la même inspection. Inutile de préciser qu'entre-temps, personne n'a fait un pas dehors, mais on n'est jamais trop prudent....

 

Les virages se font plus serrés, la forêt se densifie, l'autocar sillonne désormais les routes étroites du Catoctin Mountain Park. Il s'arrête devant un gymnase transformé en salle de presse. De grandes tables couvrent le sol. Sous les paniers de basket, des téléviseurs géants diffusent des images de chaines d'infos en continu. Ce matin , la tête d'un homme à la mine patibulaire revient en boucle. Un dangereux criminel qui rôde dans les environs. Les télévisions locales sont en alerte.

 

On n'aura guère le temps d'en savoir plus, car il faut déjà repartir. Un nouvel autocar est . On monte, on attend, on roule au pas sur quelques centaines de mètres, puis on descend à nouveau. , de grandes tentes blanches ont été installées. A l'intérieur, des portiques de sécurité. Un écureuil passe. On patiente. On avance au compte goutte. Des chiens que l'on ne se risquerait pas à provoquer inspectent les sacs des uns et des autres. Des autocars s'arrêtent. Ouvrent leurs portes, les referment. Personne ne monte ni ne descend. Nul ne comprend à quoi rime ce ballet. Jusqu'à ce que celui réservé à la presse française arrive. Il est déjà 9 heures du matin.

 

A bord de cet autocar - le quatrième en trois heures - un soldat au crâne rasé briefe les journalistes. "How are you guys today ? Show me your yellow badges !" Soudain, on se croirait presque en excursion. "No cellphones, please, no pictures. Cameras must be turned off." On comprend vite qu'il ne faut pas plaisanter.

 

A l'extérieur, la forêt est toujours aussi dense. De temps en temps, un feu rouge. Sur une étroite route de montagne l'on ne croise aucun véhicule, cela peut surprendre. Un panneau en bois, semblable à ceux qui marquent l'entrée de tous les parcs nationaux aux Etats-Unis, signale que l'on est arrivé : "Camp David".

 

Enfin pas tout à fait encore. Car il faut encore franchir plusieurs barrages de sécurité. Une double rangée de barbelés électrifiés. Une guérite bien gardée. Une fois à l'intérieur de l'enceinte, on roule au pas. A gauche, on aperçoit Marine One, l'hélicoptère du président américain. Un peu plus loin, des courts de tennis. Sur les chemins, des voiturettes de golf. Au milieu des arbres, des maisonnettes en bois. C'est donc cela, Camp David.

 

Bientôt, la petite troupe est débarquée devant ce qui est présenté comme "The Chapel". De l'extérieur, cela ressemble plutôt à un chalet de montagne. Une fois dedans, on comprend : une photo de Barack et Michelle Obama avec le pape Benoît XVI, des bibles, un orgue, un piano à queue recouvert d'un drap. Au quatre coins de la salle, des rangers aux pectoraux saillants, aux revolvers intimidants, et des drapeaux "United States Army".

 

L'attente, dans cette chapelle du dernier kitsch transformée en salle de presse, durera près d'une heure. Fort heureusement, le Wifi permet de se connecter à Internet. Alors, installés sur les bancs qui font face à l'autel, les uns et les autres essaient de grappiller quelques informations sur les premiers conciliabules entre chefs d'Etat qui ont commencé quelques minutes plus tôt.

 

Il est 10 heures. A pied, voici la petite troupe qui chemine à travers bois, bien en rang, derrière un marine. Au détour d'un bois, une grande pelouse sur laquelle a été installée une estrade en bois clair. Dessus, cette inscription : "G8 Summit 2012".

 

Les minutes passent. Derrière une corde, les journalistes et les photographes sont à nouveau briefés. Des marines armés jusqu'aux dents, maniant talkies walkies et équipés d'oreillettes leur donnent une série d'instructions. A deux angles de la pelouse, des plantons sont censés indiquer le périmètre au-delà duquel il est interdit de photographier. D'autres marines vident des aérosols antimoustique sur la pelouse.

 

La photo de famille était prévue à 10 h 45. C'est finalement à midi qu'ils apparaissent. Dix silhouettes colorées : Hermann Van Rompuy, le président du conseil européen, en pull orange, Mario Monti, le président du conseil italien, en pull couleur pêche, Barack Obama en bras de chemise. François Hollande détonne un peu avec son costume noir. Il y a aussi José Manuel Barroso, le président de la commission européenne, la chancelière allemande Angela Merkel, les premiers ministres japonais Yoshihiko Noda, canadien Stephen Harper, et russe Dmitri Medvedev.

 

Ils s'alignent en rang d'oignon face aux journalistes. "Beautiful day", lance Barack Obama. "Il n'y a que la presse française", sourit François Hollande, qui fait de grands sourires aux journalistes qu'il reconnaît. "Nous avons encore du travail", tranche M. Obama. Un journaliste tente : "Avez-vous parlé de l'eurozone ?" Réponse de M. Hollande : "What kind of questions". Il est 12 h 04. Cela faisait plus de 5 h 30 que vingt-quatre journalistes français attendaient ce moment .

 

Thomas Wieder