Affaire DSK : le parquet de Lille ouvre une enquête préliminaire pour viol en réunion

 

21.05.2012

 

Par Emeline Cazi

 

Après les plaintes de Nafissatou Diallo et Tristane Banon, un troisième épisode ennuyeux s'ouvre pour Dominique Strauss-Kahn dont la défense et les proches ne cessent de répéter qu'il n'est pas un homme violent. Frédéric Fèvre, le procureur de la République de Lille, a annoncé lundi 21 mai l'ouverture d'une enquête préliminaire pour viol en réunion. Elle fait suite à la dénonciation par les juges qui instruisent l'affaire du Carlton de faits survenus lors d'une soirée organisée à Washington pour l'ancien patron du Fonds monétaire international (FMI) par ses amis lillois.

 

Marion, la jeune femme concernée, n'a pas déposé plainte. "Si je n'avais pas été présente pour mon activité d'escort, ça ne me serait pas arrivée", avait-elle expliqué aux policiers interpellés par son récit. Mais son silence n'empêche pas la justice de se saisir d'accusations graves qui visent directement DSK et David Roquet, l'ancien responsable d'une filiale d'Eiffage dans le Nord.

 

"Il s'agit d'un traitement judiciaire tout à fait classique dès lors qu'il y a des accusations graves et contradictoires. Seules des investigations approfondies permettront de déterminer si l'infraction est constituée ou pas", prévient le procureur. M.Fèvre est un homme prudent. C'est cette même prudence qui l'a d'ailleurs conduit à attendre la fin de la séquence présidentielle pour rendre publique sa décision.

 

La police judiciaire de Lille, à qui cette enquête a été confiée, va devoir confronter les témoignages, dont certains contradictoires, des personnes présentes dans le huis clos de cette chambre d'hôtel, pour déterminer la réalité des faits. La soirée s'est déroulée le 16 décembre 2010 à l'hôtel W, à deux pas de la Maison Blanche. Il y a Fabrice Paszkowski grand organisateuur des soirées de DSK, David Roquet l'entrepreneur de travaux publics, le commissaire Jean-Christophe Lagarde et leurs accompagnatrices belges, Estelle et Marion. Tous sont arrivés la veille de Paris pour rencontrer le patron du FMI. Après un repas très arrosé, la petite troupe décide de poursuivre dans la suite que se partagent les deux filles. Seul Jean-Claude Menault, le patron de la police du Nord, également du voyage, s'esquive devant la tournure que prennent les événements.

 

"J'AI CONTINUÉ À DIRE QUE JE NE VOULAIS PAS"

 

Au début de ces agapes d'après-dîner, raconte Marion - qui a reçu 2 300 euros pour le voyage - il s'agit d'une relation sexuelle classique avec Dominique Strauss-Kahn, même si elle s'étonne de la "brusquerie" de son partenaire. Puis vient le second exercice que veut lui imposer DSK, qu'elle refuse d'un "non" distinct, assure-t-elle aux policiers le 5 décembre 2011 sur procès-verbal. "J'ai essayé de me dégager mais c'était compliqué car il était sur moi et il est très lourd." Estelle, l'autre escort, n'est pas loin, s'occupe de "ses affaires", mais "elle m'a entendu protester", jure Marion. "J'ai continué à dire que je ne voulais pas. (...) Je n'ai pas hurlé, mais je l'ai dit clairement (...) à plusieurs reprises à haute voix (...). J'ai essayé de me dérober (...) mais Dominique Strauss-Kahn m'a retenu avec son poids."

 

David Roquet vient alors à l'aide de DSK. " Il (...) a pris mes poignets (...) pour m'empêcher de bouger (...). Après je n'ai plus rien dit et j'ai attendu que ça se passe", affirme t-elle. Si ce dernier ne l'avait pas maintenue, Marion jure qu'elle "aurai[t] essayé de [se] soustraire gentiment". Seule avec DSK, elle "aurai[t] peut être pu le convaincre", pense t-elle. "Mais étant donné que David Roquet me tenait les mains et qu'il encourageait de la voix DSK (...) je suis certaine que DSK ne m'a pas écouté. "

 

Chacun des participants de la soirée a déjà donné une première fois sa version des faits. "Tout s'est bien passé", a assuré David Roquet aux enquêteurs, le 16 janvier, même si l'alcool a pu altérer quelques-uns de ses souvenirs. "[Nous avons bu] peut-être un peu plus que d'habitude", a-t-il admis. "Du Champagne et du Red Bull. (...) J'avais prendre un demi-cachet de Viagra. En plus au cours du repas, nous avions pris du vin et avant plusieurs apéros." Il n'est pas certain que Fabrice Paszkowski ait assisté à la scène. A la juge qui l'interrogeait sur son "goût des rapports de force" et son "appétence pour [certains] rapports sexuels [pratiqués] de façon brutale, sans tenir compte de l'avis et du bien être de [ses] partenaires" DSK, a toujours nié toute contrainte. "Il n'y a eu aucun rapport brutal, aucune vision dégradée de la femme et aucune violence", a t-il toujours soutenu aux policiers comme aux juges.

 

Or, c'est précisément sur la contrainte et la surprise que repose tout le débat. La jeune femme était-elle consentante ? A-t-elle eu ou non un comportement ambigu ? Une personne rémunérée pour un acte sexuel peut être victime d'un viol. "Tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu'il soit commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol", rappelle l'article 222-23 du code pénal.

 

Face à des hommes qui nient ou ne se souviennent pas bien, le témoignage d'Estelle, la deuxième escort présente dans la chambre, sera déterminant. Estelle, celle qui a proposé à son amie dont elle fut très proche, de l'accompagner à Washington ; celle qui ne cache pas son admiration pour "Dom". Celle, aussi, dont le récit présente des contradictions. "Elle m'a entendu protester", assure Marion. Elle a dit que ce n'était pas quelque chose que je faisais." "Je voyais à sa tête que ça ne lui plaisait pas car elle faisait une sale tête", a reconnu Estelle devant les policiers, le 6 décembre 2011. "J'ai dit à DSK d'arrêter (...) car elle n'aimait pas" mais "je ne l'ai pas entendu dire non, si elle ne voulait pas et si elle avait crié je l'aurais entendu et je serais intervenue." Au terme de cette enquête, le parquet pourra classer le dossier sans suite ou le confier à un juge d'instruction. Les auteurs d'un viol en réunion encourent jusqu'à 20 ans de réclusion criminelle.