Misère du cirque électoral
LE MONDE |
22.03.2012 à 14h45
Par Jean Salem,
philosophe, professeur à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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C'est en pensant
au vacillement de notre civilisation que je crois bon de brosser un rapide
tableau : du cirque électoral ; de la confiscation du pouvoir que ce cirque
autorise et qu'il entretient sous nos yeux et du régime d'élections
ininterrompues dans lequel on fait vivre le citoyen de démocraties épuisées.
Le cirque
électoral repose sur le manque de crédibilité d'une parole publique portée par
des notables dont la distance à l'égard de la grande culture est effroyable.
Une course à l'abolition intégrale de toute mémoire historique, de médiocres
"jeux de papier" où les joueurs semblent s'efforcer de faire comme
s'ils se détestaient pour de vrai. Et surtout les résultats tout à fait décoiffants de ce que le philosophe Tocqueville appelait le
"vote universel".
Car c'est bien
par le canal du vote populaire, et pas nécessairement par un simulacre de vote,
que sont ratifiées des successions qui tendent toujours davantage à redevenir
dynastiques, comme les familles Bhutto, au Pakistan, ou Gandhi en Inde ; la
famille Bush, père et fils, aux Etats-Unis ; les Bongo, les Kabila, les Eyadema
; ou les Caramanlis et les Papandréou, qui en sont à la génération non plus des
fils mais des petits-fils (la démocratie héréditaire grecque ayant été incarnée
pendant trente-sept années sur cinquante par cinq membres différents de ces
deux familles !).
Il faut voir,
d'ailleurs, comme le suffrage universel est, de nos jours, aussi souvent
piétiné qu'on en vante avec emphase les vertus, la grandeur, la sacralité. Les
peuples votent-ils "comme il faut" ? La cohorte des béni-oui-oui et
autres chroniqueurs à gages les en félicitent aussitôt. Votent-ils
"mal" ? alors on doit... refaire l'élection
au plus vite (France, Irlande, Pays-Bas). Votent-ils très mal (Palestine, 2006)
? On les bombarde.
La "vie
politique" n'est plus que ce théâtre d'ombres, d'où sont absents les
grands enjeux qui inquiètent l'opinion publique. Aussi, le taux de
participation ne cesse de diminuer dans les grands pays industrialisés. En
2008, année "record", Barack Obama recueillit les voix de quelque 30 % du corps
électoral américain. Et, lors des élections européennes de juin 2009, l'hyperabstention a touché 57 % des inscrits dans l'ensemble
des Etats de l'Union européenne... C'est ainsi, en ces temps de misère civique,
qu'une petite fraction de l'électorat global se voit transformée en une grosse
majorité des suffrages exprimés.
On tient
cependant à nous faire accroire que l'indice de la "démocratie",
c'est une élection en bonne et due forme, avec des observateurs impartiaux.
L'élection serait la reine de la politique et le critérium de toutes les
vertus. Aussi, à l'assommoir d'une information toujours plus locale, s'ajoute
son compère, le sondage, considéré comme l'un des beaux-arts. Cette pratique,
outre qu'elle réduit la vie politique à un mercato,
place le citoyen "informé" en situation d'élections permanentes.
Au cirque
néolibéral de la réforme ininterrompue répond le cirque politico-médiatique du
vote ininterrompu, le régime du sondage à jet continu, du sondage soumis aux
principes de l'action commerciale telle qu'on l'enseigne dans les écoles, ce
qui tend à donner au consommateur l'illusion du choix.